Zones d’ombre et lourdes interrogations sur l’affaire Melzi



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L’affaire de l’ex-PDG de la SIH (Société d’investissement hôtelier), Hamid Melzi, n’a pas livré tous ses secrets et l’enquête judiciaire patine et peine à éclairer les zones d’ombre qui l’entourent. Pourtant, elle concerne non seulement la gestion des résidences d’état par Melzi, ex-directeur de l’entreprise Sahel, mais aussi l’attribution suspecte de contrats de réalisation et les liens présumés entre l’enrichissement des enfants de ce responsable et ces marchés…

L’affaire de Hamid Melzi, l’ex-PDG de la SIH (société d’investissement hôtelier) et ex-directeur général de l’Etablissement public Sahel, connaît de nouveaux rebondissements après la mise en liberté récente de deux de ses enfants, rejoignant ainsi les deux autres et son épouse, placés sous contrôle judiciaire.

Non encore achevée, l’instruction porte sur des marchés de gré à gré pour la réalisation de 380 chalets à Club des Pins pour plus de 1,9 milliard de dinars, de rénovation de la résidence d’Etat Djenane El Mithak, de l’aménagement du parc zoologique de Ben Aknoun, mais aussi sur la gestion du CIC (Centre international de conférences) et de l’entreprise Sahel, et le lien supposé entre le statut de directeur général de la SIH et l’important patrimoine de ses quatre enfants et de son épouse.

Qu’en est-il au juste ? Si l’on se réfère aux conclusions de l’enquête préliminaire menée par la brigade de recherche de la Gendarmerie nationale à Alger, cette affaire concerne des faits «avérés» de «corruption et de blanchiment d’argent», pour lesquels une vingtaine de personnes ont été inculpées, parmi lesquelles Melzi, ses quatre enfants, neuf cadres et cinq employés de l’entreprise qu’il dirige, une directrice d’une agence bancaire, deux entrepreneurs et un commerçant qui ont été mis en détention et huit autres placés sous contrôle judiciaire par le tribunal de Sidi M’hamed, pour «blanchiment d’argent», «transfert de biens obtenus par des faits de corruption à l’effet d’en dissimuler la source illicite dans le cadre d’une bande criminelle», «dilapidation de deniers publics», «incitation d’agents publics à exploiter leur influence réelle et supposée dans le but de bénéficier d’indus privilèges», «bénéfice du pouvoir et de l’influence des agents de l’Etat», des collectivités locales, des entreprises et institutions publiques de droit public et des entreprises économiques publiques ou des établissements à caractère industriel et commercial durant l’établissement de contrats et marchés à l’effet d’augmenter les prix et de modifier, en leur faveur, la qualité des matières, services et approvisionnement».

Les mêmes inculpations pèsent sur huit entreprises en tant que personnes morales, dont une société chinoise, et quatre sociétés appartenant aux enfants de Melzi. Tout commence par le marché de réalisation de 380 chalets à Club des Pins, octroyé par la SIH que dirige Melzi à la société chinoise King Young, en 2014.

C’est à la suite d’une lettre adressée au Premier ministre, alors Ahmed Ouyahia, dans laquelle il met en garde contre la vétusté et la dégradation de l’état des chalets Chadweek et plaide pour leur démolition et la construction à leur place de nouveaux pavillons.

Le projet est soumis au CNI (Conseil de participation de l’Etat), lequel valide la consultation restreinte et la réalisation du projet en 24 mois pour une enveloppe de 2 milliards de dinars, «alors qu’il n’y avait pas urgence» à construire d’autres villas, qu’il ne «s’agit pas d’un projet d’intérêt national».

Plus de 18 millions d’euros transférés vers l’Espagne

Selon les cadres de la SIH, trois sociétés, deux chinoises, King Young et Sinotel Contrat Global, et une algérienne, Sarl Dema Construction, choisies par l’ex-PDG de la SIH, mais c’est King Young, «classée dernière» par la commission de consultation des offres, qui «a été retenue», pour un montant de plus de 1,912 milliard de dinars (1912 milliards de centimes) avec un délai de réalisation de 24 mois.

Or, la procédure de consultation restreinte ne s’applique que pour les marchés dont le montant total est égal ou inférieur à 8 millions de dinars (article 6 du décret 236/10) ou à 12 millions de dinars (article 13 du code des marchés publics).

Mieux encore, dans le contrat liant la SIH à King Young, il est prévu le transfert de… 80% de ce montant du marché vers le compte de ladite société en Espagne pour servir à l’importation de «produits de bonne qualité» devant être installés dans les nouveaux chalets.

Or, les expertises effectuées par le bureau d’étude qui suit les travaux de réalisation ont fait état de «nombreuses malfaçons, travaux bâclés à l’intérieur et à l’extérieur des chalets, mauvaise qualité des produits utilisés, absence de personnel qualifié, de moyens et de capacités de réalisation, mais aussi le recours à des produits bas de gamme voire même de quincaillerie».

De nombreux procès-verbaux de chantier et rapports mensuels du bureau d’étude adressés au métreur vérificateur de la SIH et à son premier responsable mettent en exergue le nombre «très réduit» des travailleurs sur le site qui a fait que l’achèvement des travaux, prévu en vertu du contrat à la fin 2016, n’est, «à ce jour, pas effectif» et à aucun moment King Young n’a fait l’objet de pénalités de retard ou de mesures coercitives de la part de la SIH.

Les différents documents présentés au tribunal par des expertises judiciaires confirment la mauvaise qualité des matériaux utilisés (carrelages, fenêtres, portes, salles de bain, etc. et mobiliers, alors que l’augmentation du taux (80%) de la partie financière transférable vers l’étranger devait permettre l’importation de produits de premier choix.

En dépit des procès-verbaux de constat du bureau d’étude, la société chinoise n’a fait l’objet ni de pénalités de retard ni de mesures coercitives et surtout n’a pas corrigé les «malfaçons».

Mieux encore, les situations qu’elle présentait pour paiement «étaient majorées de plus de 30%». Plus grave, elle n’a construit que 364 chalets sur les 380 concernés par le contrat.

La valeur de la réalisation des 16 chalets manquants (soit plus de 241,785 millions de dinars) a été déduite du montant global en vertu d’un avenant (n°9) pour financer les travaux supplémentaires d’agrandissement des logements des travailleurs, non prévus par le contrat et qui n’ont jamais été réalisés.

Bien plus, ce marché a connu une hausse financière de 45% par rapport au montant initial du marché, en vertu de trois avenants en 2015, 2016 et 2017.

Ce qui est contraire aux dispositions du code des marchés qui limitent cette augmentation à 20% seulement. La construction des 364 chalets a finalement coûté à l’Etat plus de 2,885 milliards de dinars (2885 milliards de centimes).

La partie transférable à l’étranger est passée de plus de 14,302 millions d’euros à plus de 18,97 millions d’euros, virés dans un compte à la banque Santander de Barcelone (Espagne), où de nombreuses personnalités algériennes ont mis leur argent.

Jusqu’à aujourd’hui, l’énigme reste entière sur les 16 chalets manquants de ce marché, sur l’explosion du montant de ce dernier, l’absence de pénalités de retard,  de mesures coercitives et le paiement des situations souvent surfacturées en dépit du non-achèvement des travaux.

40 milliards de dinars pour la rénovation du parc zoologique

D’autres interrogations aussi lourdes pèsent sur les conditions dans lesquelles la même société chinoise, King Young, a obtenu en 2018 le marché de rénovation de la résidence d’Etat, Djenane El Mithak, à Alger, alors qu’elle n’arrivait pas à honorer ses engagements vis-à-vis de la SIH, à Club des Pins.

Il avait été confié (de gré à gré) à la société portugaise Teixeira, puis résilié avant que le secrétaire général de la présidence, alors Habba Okbi, ne désigne la SIH, à sa tête Hamid Melzi, comme maître d’ouvrage. Avant même l’ouverture des plis, le nom de King Young était déjà retenu.

La société chinoise décroche le marché et entame les travaux avant même l’étude technique pour une réalisation en 24 mois.

Quatre mois plus tard, elle enregistre un retard considérable, poussant le directeur général des résidences de la présidence de la République et celui de Djenane El Mithaq à réclamer à Hamid Melzi la résiliation du marché et son affectation (de gré à gré) à la société chinoise CSCEC, qui n’avait pas été retenue lors de la consultation alors qu’elle avait présenté la même offre que sa compatriote King Young.

Mais durant les quatre mois, cette dernière avait déjà consommé 210 millions de dinars et traînait une dette de 60 millions liées aux pénalités de retard.

Le projet s’est arrêté, mais King Youg n’a pas cessé de réclamer «son argent». L’autre dossier sur lequel enquête la justice est celui du réaménagement du parc zoologique de Ben Aknoun, à Alger, confié en 2017 à la SIH, par le Premier ministre, Ahmed Ouyahia.

Devenue maître de l’ouvrage, celle-ci obtient un montant de 40 milliards de dinars pour son étude pour la réalisation de 13 projets de loisirs et de distraction attribués de gré à gré à la CSCEC. Mais les travaux se heurtent à la résistance des habitants qui vivent autour et à l’intérieur du parc.

Melzi est alors interpellé par Saïd Bouteflika, frère du président déchu, le sommant d’arrêter les travaux, occasionnant de grosses pertes financières.

Il en est de même pour le choix de la SIH comme maître d’ouvrage pour la réalisation à Lakhdaria (Bouira) du projet Data Center au profit du ministère des Télécommunications et de l’Information et de la Communication et d’Algérie Télécom.

Initialement attribué à une société chinoise, Bower Honong, il a été résilié pour «surévaluation» et fait l’objet d’une autre consultation restreinte, lancée en 2018 par la SIH.

Deux sociétés (chinoises) Huawei et CSCEC, décrochent ce contrat pour 15 milliards de dinars, mais la tutelle met fin au contrat avec la SIH, alors que le montant du marché était déjà dans son compte.

Lors de l’enquête préliminaire, il est fait état d’éléments assez troublants sur de supposés liens entre les enfants de Melzi et la société Paravia Ascenseurs, bénéficiaire presqu’exclusive des marchés d’installation d’ascenseurs et d’escaliers mécaniques dans les hôtels construits par la SIH depuis 1999, mais aussi avec la CSCEC qui a réalisé les travaux du siège d’une de leurs entreprises à Alger.

Entre 34 et 47 millions de dinars de salaires pour les expatriés…

Tout comme il est fait état d’une gestion «anarchique» du CIC (Centre international de conférences), qui a cumulé au 31 octobre 2018 plus de 4,32 milliards de dinars, alors que les salaires des expatriés ont connu une hausse de 7,5%.

Les salaires de base sont passés d’une moyenne de 60 millions de dinars par mois à 75 millions de dinars et le salaire net de 34 millions de dinars à 47 millions de dinars en 2018. Plusieurs «anomalies» sont constatées au niveau de la gestion des contrats confiés à la SIH.

C’est le cas du marché de réalisation des 123 villas par la CSCEC en 2009 et qui, à ce jour, sont fermées. Ce qui a causé de graves dégradations des lieux et des équipements dont elles sont dotées à des prix forts.

Des anomalies sont également constatées dans la gestion de l’entreprise Sahel, dont les dettes pèsent lourdement sur sa trésorerie. Au 31 décembre 2017, celles-ci avaient atteint plus de 8,79 milliards de dinars, dont plus de plus 1,33 milliard détenus par des personnes «suspectes».

L’enquête évoque de nombreux marchés de réalisation de travaux d’entretien, d’acquisition d’équipements électroménagers, de mobilier, etc. attribués à des entrepreneurs ou sociétés étrangères à l’activité et dans la majorité des cas les prestations sont «lourdement facturées» et font rarement l’objet de contrôle.

Mais aussi la fulgurante ascension sociale des enfants de l’ex-directeur général de la SIH et de son épouse en quelques années seulement.

Ainsi, Mouloud Melzi détient huit sociétés, six au nom de son frère Ahmed, deux autres appartenant à Salim, une au nom de Melzi, le père, et une autre au nom de la mère. Pour ce qui est des biens immobiliers, ils sont très nombreux et acquis en quelques années seulement.

Mouloud détient une parcelle de 1677 m2 à la zone industrielle de Chéraga, deux locaux à usage de pâtisserie, d’une superficie de 301 m2, d’un appartement à Kouba, d’une villa de plus de 220 m2 à Dély Ibrahim, deux autres à Ouled Fayet, d’une villa en copropriété avec ses frères à Moretti, du restaurant l’Hacienda, situé à la résidence d’Etat (Moretti), d’une propriété de 1074 m2 à Chéraga, d’une autre de 50 ares pour la production d’eau minérale et de 25 hectares à Berriane (Ghardaïa).

Son frère Ahmed possède une villa à Palm Beach, une autre de 716 m2 à Chéraga et est copropriétaire avec ses frères d’une unité industrielle mise en location à la zone industrielle de Staouéli. Melzi Zoheir est propriétaire d’un appartement à Paris (France), d’une villa de 2578 m2 à Hydra (Alger), d’un logement à Zéralda.

Pour ce qui est de Salim, il possède deux villas jumelées à Ouled Fayet, et son frère Walid est propriétaire d’un terrain agricole de 5 hectares à Htatba (Tipasa).

Son père a une villa à Palm Beach, qu’il dit avoir donnée à son fils Ahmed, alors que sa mère détient une villa à Cherchell, une deuxième à Larhat (Tipasa) et une troisième à Moretti.

Pour l’instant, l’enquête judiciaire n’est pas encore terminée, mais au moins trois mis en cause, les deux enfants de Melzi, et son assistante, présentée comme sa «boîte noire», ont été mis en liberté après une détention provisoire qui a duré des mois. Beaucoup de zones d’ombre pèsent sur cette affaire, qui ne semble pas avoir livré tous ses secrets.


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