«La force d’une Constitution est dans l’adhésion libre des parties au contrat»



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Saïd Salhi, vice-président de la LADDH et militant actif du mouvement populaire, revient dans cet entretien sur l’arrêt du hirak à cause de la crise sanitaire. Il précise que c’est dans un contexte particulier que les autorités ont décidé de soumettre à débat son projet de révision de la Constitution. «Le processus proposé pour son adoption (Constitution) est vicié, il ne permet en aucun cas au peuple d’exercer sa volonté. Cette Constitution est proposée à un débat impossible, tant que le climat est marqué par la répression et la fermeture des espaces de débats», souligne-t-il. Et d’ajouter : «Il ne peut y avoir de démocratie sans processus démocratique qui garantit l’exercice des libertés démocratiques».

Le projet de révision de la Constitution a été rendu public, début mai, par la présidence de la République. Pourquoi, selon-vous, les autorités ont-elles décidé de soumettre à débat ce texte dans un contexte particulier, marqué par une crise sanitaire inédite ?

A l’apparition de la Covid-19, le hirak a pris ses responsabilité, dès la 56e marche du vendredi, pour la préservation de la santé publique et a décidé de manière volontaire, avant même la décision du gouvernement, de suspendre toutes les marches et manifestations publiques et d’observer une trêve sanitaire pour permettre au pays de se mobiliser contre la pandémie et concentrer ses efforts pour endiguer la crise.

Plus que cela, le hirak a décidé de s’impliquer activement dans l’effort de la sensibilisation et de la solidarité nationale aux côtés des autorités publiques.

La décision a été difficile à prendre, car beaucoup d’activistes appréhendaient la suite et exprimaient leur inquiétude de voir le gouvernement profiter de la trêve pour accentuer la répression et s’attaquer au hirak.

Malheureusement, c’est ce qui s’est passé, dès l’annonce de l’état d’urgence sanitaire, les autorités n’ont pas hésité un instant à recourir à la répression, qui était déjà très présente tout au long des manifestations ; des dizaines d’arrestations ciblées ont touché des militants et des journalistes proches du hirak et dans plusieurs wilayas ; des procès en cascade contre des militants sont signalés chaque jour, et ce, avec un durcissement des peines ; des sites électroniques et radio web sont bloqués, et pour assurer une couverture légale à cette répression, des lois déjà liberticides ont été amendées et adoptées en catimini par un Parlement alibi pour plus de contrôle de la société.

C’est dans ce climat délétère marqué par le verrouillage des champs politique et médiatique, des restrictions des libertés et des dizaines de détenus d’opinion que la Présidence a décidé de soumettre à débat son projet de révision de la Constitution.

En pleine crise sanitaire, le pouvoir pense devancer le hirak et gagner des points en mettant la société devant le fait accompli et en lui imposant, encore une fois, sa feuille de route.

Il semble ne pas retenir la leçon de l’élection présidentielle du 12 décembre 2019 qui, malgré le coup de force, n’a pas réussi à gagner la légitimité populaire, qui est restée du côté du hirak, lequel a sauvegardé toute sa force et sa légitimité.

Si des partis et organisations appellent les Algériens à adhérer à la démarche des autorités, d’autres dénoncent une Constitution «rédigée en vase clos et qui ne favorise pas une rupture avec le système en place». Un commentaire ?

Au-delà du contenu des propositions de l’avant-projet de la Constitution rédigé par la commission, le processus lancé par la Présidence n’a rien de démocratique, la forme vous renseigne sur le fond et surtout sur la volonté réelle du pouvoir.

C’est justement ce processus qui est dénoncé par le hirak, car unilatéral, autoritaire et fermé. Pourtant, une fois l’élection présidentielle passée, le Président installé avec une légitimité déficiente avait la possibilité d’ouvrir une nouvelle phase, en tant que Président de fait, représentant du système, pour permettre réellement le changement souhaité.

Malheureusement, la petite brèche d’apaisement ouverte juste après, avec la libération d’un bon nombre de détenus du hirak, s’est vite refermée pour laisser place à la répression, bien avant même la Covid-19. En fait, la feuille de route du système déclinée dès le mois de juillet (2019) n’a pas changée.

Loin de la rupture, son premier souci est bien sa sauvegarde par sa recomposition en interne, d’un côté, par un jeu de nouveaux équilibres entre les différents segments qui le composent et, de l’autre, par le rétablissement de son autorité en tablant sur l’usure, la division et la répression du hirak.

Le projet de la révision de la Constitution poursuit cet objectif, apparemment on s’achemine droit vers le remake du coup de force du 12 décembre. Dans ce cas, le pouvoir prendra-t-il le risque d’aller vers un référendum qui verra la Loi fondamentale majoritairement rejetée, à l’instar de la présidentielle ?

Le pouvoir prendra-t-il le risque d’approfondir le fossé, qui le sépare du peuple et d’attenter à la cohésion nationale, alors qu’une Constitution devait être l’incarnation du contrat social et d’une politique nationale dégagée dans la société et avec le pouvoir ?

Si la commission Laraba propose la constitutionnalisation du hirak dans le préambule, le renforcement des libertés, entre autres dispositions, et l’équilibre des pouvoirs sont toujours préservés, avec, en particulier, un Président aux prérogatives toujours aussi importantes que dans les précédents textes constitutionnels. Qu’en pensez-vous ?

Nous avons longtemps dénoncé la non-effectivité des lois ; des textes non appliqués, des garanties non respectés, des Constitutions moult fois amendées au point d’être banalisées : juste pour le mandat de Bouteflika, la Constitution a été révisée 3 fois, en 2002, 2008, 2016.

Le même Bouteflika a promis en cas de son élection pour un 5e mandat de la «changer» encore pour la 4e fois. Encore, dès l’indépendance, pour ainsi dire, toutes nos Constitutions n’ont pas résisté longtemps sans qu’elles ne soient triturées (1963, 1976, 1989, 1996).

On a même vécu 10 ans sans Constitution, lors des crises majeures vécues par le pays, elles n’ont, finalement, pas servi à grand-chose. Les dispositions de la Constitution de 2016, toujours en cours, n’ont pas toutes été appliquées à ce jour.

A la LADDH, nous avons travaillé sur la proposition de la refondation constitutionnelle, dès 2006, à l’occasion du cinquantenaire du Congrès de la Soummam.

Nous avons présenté notre projet de Constitution cadre, qui a été remis à la Présidence lors des consultations en 2011 et en 2014 à l’occasion de la révision de la Constitution, mais qui n’a jamais été écouté par le pouvoir.

Pour vous dire en fait que le problème du pays n’a pas été seulement les textes, mais surtout les pratiques : la force d’une Constitution, comme dans tout contrat est dans l’adhésion des parties au contrat, qui devait être suffisamment et librement négocié, consenti au préalable, avant d’être signé.

La Constitution n’est pas une affaire de simple élection, elle ne doit pas être l’otage du jeu des majorités parfois conjoncturelles, mais le fruit d’un vrai consensus, qui doit permettre à la société de méditer ses contradictions, prévenir ses conflits, dans le vivre-ensemble en paix et en toute démocratie.

C’est l’idée de la conférence nationale consensuelle et unitaire comme espace de négociation dans la société, mais aussi avec le pouvoir, que nous défendons encore depuis des mois maintenant.

C’est l’essence même du processus démocratique constituant revendiqué par la majorité du hirak, le processus d’élaboration, de validation de la Constitution devra être authentique et permettre à la société d’exprimer sa volonté.

Pour revenir à l’avant-projet, comme en 2016 beaucoup de propositions ont été faites, des avancées sur le chapitre des libertés, de l’indépendance de la justice, de la séparation des pouvoirs… pourtant, cela n’a pas empêché Bouteflika de piétiner les droits des Algériennes et des Algériens, qui n’avaient comme ultime recours que la rue.

Tellement humilié, le peuple est sorti le 22 février 2019 dans un sursaut de dignité pour sauver le pays. Aujourd’hui, force est de constater que la Présidence est restée fidèle à la même doctrine, celle de considérer le peuple encore inapte pour la démocratie.

Elle semble privilégier le même modèle que Bouteflika : le régime présidentialiste, ce régime en vigueur dans des pays surtout non démocratiques, où s’il n’y a pas réellement de séparation des pouvoirs, ou de contre-pouvoirs forts, vire vite au despotisme et au pouvoir unipersonnel.

C’est ce qui est arrivé avec Bouteflika qui, à force de concentrer les pouvoirs entre ses mains, a fini par tout figer autour de lui au point où sa succession a failli emporter le pays.

Cette mouture proposée, avec les pouvoirs élargis au président de la République à la tête du pouvoir exécutif, doublé, au besoin, d’un vice-président aux mêmes prérogatives, le fait ériger comme seul dépositaire de tous les autres pouvoirs.

Le processus proposé pour son adoption est vicié, il ne permet en aucun cas au peuple d’exercer sa volonté. Cette Constitution est proposée à un débat impossible, tant que le climat est marqué par la répression et la fermeture des espaces de débat.

Le projet de la Constitution, le code électoral seront soumis au Parlement alibi et sans aucune légitimité. Le référendum sera organisé par la même instance qui a organisé les élections contestées du 12 décembre 2019, elle est non constitutionnelle et non crédible.

Cette Constitution est loin de traduire l’aspiration du peuple au changement, ni dans sa forme ni dans son fond. Il ne peut y avoir de démocratie sans processus démocratique qui garantit l’exercice des libertés démocratiques.

Dans ce même contexte, des militants et activistes du mouvement populaire sont convoqués par la police, et certains d’entre eux sont arrêtés et même placés en détention préventive. Pourquoi ce tour de vis supplémentaire ?

Le pouvoir politique espère utiliser la trêve sanitaire pour affaiblir le hirak et l’empêcher de revenir après le déconfinement.

En s’attaquant aux activistes les plus en vue dans toutes les wilayas du pays, les autorités pensent décapiter le mouvement, elles se trompent encore et oublient qu’il s’agit d’un mouvement populaire, cette stratégie appliquée avant l’élection présidentielle a déjà échoué. Au contraire, elle alimentera le mouvement et le renforcera dans sa détermination.

Ces arrestations qui touchent toutes les wilayas montrent l’ampleur de l’ancrage du mouvement : le hirak est national, uni dans cette volonté commune de changement démocratique et de sauvegarde de l’unité nationale malgré toutes les tentatives de division.

La répression et la solidarité avec les détenus d’opinion constituent aujourd’hui le ciment du hirak face à l’arbitraire et au déni, le comportement du gouvernement accentue la méfiance et la défiance du peuple algérien, au point où certains activistes dépités par la répression menacent de rompre la trêve sanitaire avant le déconfinement.  Heureusement, la raison l’a emporté, cela ne tiendra pas longtemps.

Il est encore possible de réajuster le processus politique vers le changement démocratique effectif. C’est une question de bonne volonté, la libération des champs politique et médiatique et des détenus d’opinion sont des mesures à même de permettre un débat dans la sérénité.

Au lieu de tourner le dos au hirak pacifique, la présidence de la République gagnerait plus à lever toutes les contraintes à son encontre pour lui permettre de s’organiser, de faire émerger des consensus et négocier la solution politique, le hirak est le vis-à-vis et le partenaire dans la solution. 


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