Lazhari Labter. Ecrivain, journaliste

«M’Quidèch a dérangé les tenants de la pensée unique»



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Dans cet entretien accordé à El Watan, Lazhari Labter, journaliste, éditeur et auteur prolifique (essais, poésie, etc.) revient sur l’histoire magnifique d’une revue pionnière de bande dessinée M’Quidèch.

Réunie à l’initiative de feu Abderrahmane Madoui, éditeur à la SNED, l’équipe «qui comptait une vingtaine de dessinateurs qui a réalisé numéro après numéro, et porté à bout de bras et à coups de cœur, bon an mal an la première revue de bande dessinée algérienne de fin 1969 à 1974». Il explique que les raisons de la cessation de la publication «sont multiples mais on peut dire que c’est parce qu’elle commençait à déranger les tenants de la pensée unique»

Propos recueillis par  Nadir Iddir

 

-Vous avez publié un ouvrage fort intéressant sur la première revue de bande dessinée algérienne M’Quidèch aux éditions Barzakh, à Alger, en 2019. Comment est né votre projet quand on sait que vous avez consacré des travaux et même une exposition à ce sujet ?

C’est en fait dans  Panorama de la bande dessinée algérienne 1969-2009», publié en 2009, l’année de la tenue du 1erss Festival international de la bande dessinée d’Alger (Fibda), que j’ai abordé dans le détail l’histoire de la bande dessinée algérienne sur 40 ans. Avec M’Quidèch, une revue, sune équipe, une école, je voulais revenir avec plus de développements que dans le «Panorama» sur cette histoire, en focalisant sur cette revue mythique et historique sans équivalent à ce jour, qui a été d’un apport considérable dans le développement de la bande dessinée algérienne et qui marque pour moi la naissance du 9e art dans notre pays. L’exposition consacrée à M’Quidèch lors du dernier Fibda a été montée et montrée à cette occasion.
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-Le premier numéro de M’Quidèch parait en février 1969. Qui sont-ils ces quelques «adultes restés enfants et des adolescents qui en voulaient» dont vous parlez et qui sont à l’origine de cette revue ?

Ils étaient cinq réunis à l’initiative de feu Abderrahmane Madoui, le directeur du département édition de l’ex-Société nationale d’édition et de diffusion : feu Mohamed Aram, feu Mohamed Bouslah, Ahmed Haroun, Menouar Merabtène plus connu sous le nom de Slim et Mohamed Mazari dit Maz. Un noyau de vétérans autour duquel se sont agrégés peu à peu les «jeunes loups», comme je les appelle, Mahfoud Aïder, Bachir Aït Hamoudi, feu Mansour Amouri, Redouane Assari, Fawzi Baghdadli, Saïd Ferhat, feu Brahim Guerroui, Ahmed Hebrih, Mohamed Karaoui, feu Sid Ali Melouah, Djamel Oulmane, Ali Rahmoune, Abdelhalim Riad, Rachid Taïbi, Mustapha Tenani, Mohamed Tidadini et Slimane Zeghidour. C’est cette équipe qui comptait une vingtaine de dessinateurs qui a réalisé, numérso après numéro, et porté à bout de bras et à coups de cœur, bon an mal an, la première revue de bande dessinée algérienne de fin 1969 à 1974.
Sans oublier les scénaristes et notamment Lamine Merbah, Amazit Boukhalfa et Henrique Abranches.

-Qui était M’Quidèch ? Et qui l’a croqué en premier parmi les bédéistes regroupés autour de Abderrahmane Madoui ?

M’Quidèch, dont la revue porte le nom, est un personnage de contes du patrimoine populaire algérien sur lequel Mouloud Feraoun avait écrit et qui apparaît dans les années quarante sous forme de personnage de bande dessinée pour la première fois dans Le Coin des enfants du quotidien Liberté (organe central du Parti communiste algérien), dans Aventures de Quico et M’Qidech dessinées par un certain Sam. Avec Quico, présenté comme Algérien mais dont le nom sonne «pied-noir», M’Qidech s’oppose aux menées des gros colons en les ridiculisant. Il faut attendre 1969 pour le voir réapparaître dans la première revue de bande dessinée algérienne qui porte son nom sous la plume du dessinateur Ahmed Haroun. Après le départ de Haroun, le personnage de M’Quidèch sera repris en 1970 par Slimane Zeghidour et à sa suite par Ali Rahmoune. Le nom de la revue a été donné par feu Abderrahmane Madoui.

-La revue a cessé de paraître en 1974 au 31e numéro. Pourquoi ? La censure a-t-elle freiné l’élan de ceux qui ont rendu possible cette belle aventure ?

Les raisons sont multiples mais on peut dire que c’est parce qu’elle commençait à déranger les tenants de la pensée unique et les promoteurs de la politique d’arabisation, une arabisation démagogique, irréfléchie et très mal conduite qui a eu des effets négatifs sur plusieurs secteurs, notamment de l’éducation nationale, de la culture et des médias, menée par le zélé «oulémiste» conservateur Ahmed Taleb Ibrahimi, ministre de l’Information et de la Culture de Boumediène de 1970 à 1977 et dont les effets pervers continuent à se faire sentir à ce jour. La revue M’Quidèch comme beaucoup d’autres revues et journaux prestigieux en a fait malheureusement les frais, et c’est ainsi que cette belle aventure, unique en son genre dans les pays maghrébins, arabo-musulmans, musulmans et africains, a été brisée dans son envol, après cinq ans de parution régulière à raison d’un numéro par mois, en dépit des difficultés de toute sorte. Si la revue M’Quidèch n’avait pas été brutalement stoppée en plein essor en 1974, après le 31e numéro, nous aurions célébré au mois de février 2019 sa 50e année d’existence.

-Pourquoi n’avons-nous pas pu relancer usne revue d’une telle facture ?

Depuis la disparition de la revue M’Quidèch, il y a eu plusieurs tentatives de lancement de revues à commencer par la reparution de M’Quidèch entièrement arabisée en 1978, qui a cessé de paraître au début des années quatre-vingts fautes de lecteurs et de mésentente entre les dessinateurs et ses responsables, et beaucoup d’autres, mais aucune n’a abouti. Les raisons sont diverses. Le traumatisme subi par l’équipe suite à l’arrêt brutal de la revue y est certainement pour quelque chose. Le cœur n’y était plus, puis il y a eu la crise économique du milieu des années quatre-vingts aggravées par les événements d’Octobre 88 et la décennie noire.

On peut signaler cependant deux initiatives intéressantes, le journal satirique El Manchar qui n’était pas une revue de bande dessinée à proprement parler mais où l’on trouvait de la bande dessinée, lancé par Mahfoud Aïder, l’un des dessinateurs de M’Quidèch de la première heure, et le magazine Laabstore, tendance manga, lancé par le journaliste, dessinateur et éditeur Salim Brahimi dit Sayan en même temps que sa maison d’édition en 2007. Il est regrettable que dans un pays qui organise depuis plus de dix ans un des Festivals de la bande dessinée les plus courus au monde ne dispose à ce jour d’aucune revue de bande dessinée digne de ce nom et où n’existe qu’une seule maison d’édition spécialisée dans le 9e art, en l’occurrence Z-Link.


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