L’ombre de Bouteflika



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Les deux ex-Premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, se sont défendus hier devant le tribunal de Sidi M’hamed, au deuxième jour du procès de Ali Haddad. Tous deux se déclarent «non responsables» des faits qui leur sont reprochés et en mettant en avant les «instructions» du Président déchu, Abdelaziz Bouteflika, dans la gestion. Pour Sellal, le régime «était arrivé à bout de souffle», alors que pour Ahmed Ouyahia, «le procès est une évaluation de la politique d’investissement de Bouteflika».

Le procès de l’homme d’affaires Ali Haddad et ancien président du FCE a repris, hier, au tribunal de Sidi M’hamed, à Alger, avec l’audition des deux ex-Premiers ministres, mais aussi les anciens ministres de l’Energie.

Appelé à la barre, Ahmed Ouyahia, toujours serein, maîtrisant les détails des dossiers pour lesquels il est poursuivi, prend tout son temps pour expliquer les textes de loi et le contexte dans lequel il a agi.

D’emblée, il nie les faits qui lui sont reprochés et précise que cela avait trait à 99% aux marchés publics liés au programme d’investissement des années 2000.

«J’exécutais les décisions des Conseils des ministres et les instructions du président de la République, Abdelaziz Bouteflika, pour accélérer les procédures de réalisation de ces projets. Je n’étais ni ordonnateur, ni signataire, mais un coordinateur.»

«Il fallait accélérer les réalisations»

Le juge le ramène aux 18 marchés relatifs aux lignes de tramway obtenus par l’ETRHB, puis à celui de la réalisation de la ligne de chemin de fer Tiaret-Relizane, d’un montant de 20 milliards de dinars confié toujours à Ali Haddad, mais Ouyahia répond : «Je n’ai aucun lien avec ces marchés.»

Le magistrat l’interroge sur le marché de réalisation de la pénétrante de Zéralda-autoroute, et Ouyahia répond : «Nous préparions le sommet arabe qui devait se tenir à Alger. Il y a eu un appel d’offres. Il fallait accélérer la réalisation et passer de deux fois deux voies à deux fois trois voies.

Ce qui a engendré une rallonge de l’autorisation de programme à hauteur de 30 milliards de dinars. En décembre 2010, le ministre des Travaux publics s’est plaint du ministre des Finances, à l’époque Karim Djoudi, blocage de l’enveloppe. Après réunion, le ministre a fait une note de réévaluation suivi de l’avenant N°4.»

Le président l’interroge sur ces «hausses financières» et Ouyahia affirme : «Il y avait d’énormes retards dans l’exécution des projets. Les instructions du Président étaient d’exécuter les travaux et après réévaluer et payer. Le Président était informé de tout. Quotidiennement, je lui rendais compte verbalement et par écrit des décisions.

Sa réponse était toujours : ‘‘Exécutez la réalisation’’.» Le magistrat : «Le CNI (Conseil national d’investissement) a donné à la société de Ali Haddad des avantages en violation de la loi de finances de 2015. Qu’avez-vous à dire ?»

Le prévenu : «L’article 22 du code de l’investissement de 2016 exclut ceux qui activaient avant les dispositions de la loi de finances. L’entreprise de Haddad n’était pas soumise aux textes législatifs antérieurs au code des investissements. C’était fait dans le but de stabiliser le cadre légal de l’investissement.

Nous avions donc régularisé trois entreprises : Sovac, Hasnaoui et Savem de Ali Haddad.» Il précise que le projet avait été octroyé après son départ, en 2014, de son poste de Premier ministre.

Sur le marché de réalisation de la pénétrante de Djendjen-autoroute, Ouyahia déclare n’avoir «aucun lien» avec le dossier avant que le magistrat ne l’interroge sur la réalisation du projet de réservoir d’eau potable à Béchar, par l’ETRHB, pour un montant de 19,50 milliards de dinars : «En 2018, le ministre des Ressources en eau, Necib, m’a saisi sur le problème des pénuries d’eau potable à Béchar qui duraient depuis trois ans.

Il m’a demandé une autorisation pour le programme d’urgence, en raison des émeutes récurrentes des citoyens à cause de l’eau. Il y a eu 9,8 milliards de dinars de budget complémentaire. L’Agence des barrages a présenté le projet au gouvernement en janvier 2018, qui l’a validé. Le choix de l’entreprise ne relève pas de mes prérogatives.»

Le juge se tourne vers Haddad et lui demande les raisons des retards dans les travaux et de révision à la hausse des coûts. «C’est une zone désertique. Il nous fallait un endroit haut. Nous avions refait les études qui nous ont pris une année.

Nous étions confrontés à de nombreux problèmes techniques de sol, d’emplacement etc.», répond Haddad. Le juge se tourne vers Ouyahia qui lance à propos du suivi : «C’est l’ANBT qui suit les travaux, pas le Premier ministre. Je ne pouvais pas être au courant des détails.»

Le magistrat : «Pourquoi le gré à gré après une consultation restreinte ?» Ouyahia : «Le ministre des Ressources en eau m’avait informé que la société espagnole qui a eu le marché s’était retirée. Le projet était très en retard. Pour gagner du temps dans le raccordement de la station de dessalement, il était plus judicieux d’opter pour le gré à gré.»

Il lance au juge : «Avec ce procès, nous sommes en train d’évaluer la politique de développement qui était à l’époque une bénédiction et qui aujourd’hui est devenue un malheur. A l’époque, il fallait se libérer du piège des décrets et des ordonnances.»

«Ce sont les instructions du Président…»

Sur le marché de réalisation du stade de Tizi Ouzou, l’ex-Premier ministre souligne qu’il a été entériné par le Conseil des ministres en 2011, et le magistrat de lui demander pourquoi le coût qui était de 19 milliards de dinars a explosé.

«Le projet a connu des changements, il est passé d’une capacité de 20 000 spectateurs, à 40 000 puis à 50 000, avec de nouvelles annexes. La commission des marchés l’a validé.

L’appel d’offres portait sur deux étapes, la première de 13 milliards de dinars, et la seconde de 32 milliards de dinars.

Après la première, il a entamé la seconde à hauteur de 20 milliards de dinars et qui n’a démarré qu’en 2012. C’est en 2011 que le ministre des Finances a demandé le paiement du complément de l’enveloppe. Il y a eu délibération dans ce sens.

Le projet était déjà en route et le maître de l’ouvrage savait que la somme de 20 milliards de dinars n’était pas suffisante. En fait, la réévaluation était déjà acquise, il lui fallait un habillage au niveau de la commission des marchés.»

Le juge revient sur le projet de réalisation de la pénétrante Djendjen-autoroute, confiée à l’ETRHB, et Ouyahia précise qu’il n’était plus en poste, mais le magistrat lui parle d’une lettre qu’il avait et dans laquelle il évoque la régularisation des travaux à hauteur de 170 milliards de dinars.

«Ce sont les instructions du Président. Lors de son exécution, je n’étais plus en poste. Nous avions 34 000 milliards de dinars d’investissement par an. Nous sommes passés d’une commission de marchés à trois, les services, les travaux publics et les biens avant d’arriver à une commission pour chaque secteur d’activité.

Un avis d’appel d’offres peut prendre plus d’une année. Il fallait sortir de cet engrenage.» Interrogé sur le fait de n’avoir pas opté pour Cosider, Ouyahia déclare qu’elle accusait d’importants retards et les étrangers raflaient tous les marchés. «La CEC (chinoise) avait 3000 marchés. 15 à 20 milliards de dinars de marchés publics par an étaient entre les mains des sociétés étrangères.

60% de la réalisation des logements étaient confiés aux étrangers de gré à gré. Il fallait récupérer cette manne, surtout qu’on perdait beaucoup d’argent dans les arbitrages. Je n’ai fait qu’appliquer la politique du président de la République.

Les procès-verbaux existent au niveau des archives.» Interrogé sur la procédure appliquée par le ministère de la Défense en matière de marchés, Ouyahia déclare : «Ils ont leur propre code des marchés et leur propre commission.»

Abdelmalek Sellal : «quand je suis arrivé, le président était malade, il ne gérait plus»

Le juge appelle Abdelmalek Sellal à la barre. Lui aussi conteste tous les griefs et refuse d’être qualifié de «corrompu». Le magistrat l’interroge à propos du dossier de la cimenterie de Relizane que Ali Haddad a obtenu. «Je n’étais pas ordonnateur ni maître d’ouvrage. Je n’ai rien signé.

Sur les 5000 marchés publics octroyés chaque année durant mon époque de 2012 à 2017, il y en a eu 20 000», déclare-t-il avant de préciser : «Quand je suis arrivé, le président était malade et avait quitté le pays, et s’est retiré de la gestion du pays. J’étais en première ligne. Je m’occupais de toute la gestion politique du pays.

Ce n’était pas facile. La situation était très compliquée. Je ne pouvais pas suivre tout ce qui est exécution de projets d’équipement. J’ai vécu des moments très difficiles. En 2014, le pétrole a chuté de 110 dollars le baril à 26 dollars. Dieu merci, nous avons dépassé cette crise.

Le souci du gouvernement était d’accélérer la réalisation de structures de base pour répondre aux besoins de la population. De nombreux projets étaient retenus. J’étais ministre des Ressources en eau lorsque l’Algérie faisait face à une sécheresse et à la rareté d’eau potable. Nous étions sur le point d’importer de l’eau.

En 2011, l’eau coulait dans les robinets. Même Tamanrasset qui souffrait du manque de cette ressource est aujourd’hui alimentée», lance-t-il avant de préciser : «Mais le système politique était à bout de souffle. Il était arrivé à sa fin.

C’est la vérité qu’il faut dire. Il fallait des changements mais sans nier ce qui a été réalisé. Il n’y avait pas que des échecs, il y avait aussi des réussites, dont je suis fier. Je refuse qu’après 45 ans de carrière on m’accuse de corrompu.

J’ai failli mourir à Tazoult, à l’issue d’une attaque terroriste, lorsque en tant que membre de la commission d’enquête, nous étions allés pour élucider la grande évasion des détenus de la prison de Lambèse à Batna. A 72 ans, je voudrais que le tribunal soit équitable.» Le juge le ramène encore une fois à la cimenterie de Relizane du groupe public GiCa.

Il explique qu’en 2012, le CPE (Conseil des participations de l’Etat) «avec les 12 membres, tous des ministres, dont ceux de souveraineté, a rendu une résolution pour encourager le partenariat public-privé afin de contourner les entreprises étrangères qui avaient mainmise sur les marchés et qui a été appuyée par la loi de finances de 2018. Lors de la réunion du CPE, le groupe GiCa a présenté un projet où Haddad devait entrer dans son capital social.

Il était en négociation avec une société chinoise, mais cela n’a pas abouti. GiCa a eu un titre minier avec Orsim suisse, mais cette dernière s’est retirée. Sonatrach l’a remplacée mais l’opération n’a pas abouti.

Il y a eu par la suite les Chinois ; encore une fois, le même résultat». Le juge lui fait savoir que le groupe GiCa était en négociation avec les Chinois, il ne voulait pas de l’association avec Haddad. D’ailleurs, il n’était pas présent à la réunion du CPE. Sellal : «Je ne sais pas.

Ce qui est sûr, c’est qu’aucune résolution ne peut être validée s’il y a une seule réserve. Il y avait la lettre du directeur général de GiCa affirmant sa volonté de quitter la cimenterie de Relizane défendue par le ministre de l’Industrie. GiCa n’avait pas les moyens financiers pour Seybouse et pour Relizane.

On voulait éviter ce qui s’est passé avec Orascom qui a vendu la cimenterie de Chlef à Lafarge et qui a failli vendre la licence de téléphonie mobile à un opérateur russe, n’était le droit de préemption de l’Etat grâce auquel ce dernier est propriétaire de Djezzy à plus de 60% des parts.» Sellal dément avoir empêché le directeur général de quitter la cimenterie de Relizane et persiste à affirmer que la décision était unanime.

Interrogé, Ali Haddad jure que les travaux de cette cimenterie sont à 60% réalisés en matière de génie civil et à plus de 75% pour les équipements.

Il affirme que la concession obtenue dans ce cadre – un terrain de 83 000 ha – est adossée à une garantie de 100 milliards de dinars. «Si je n’avais pas été arrêté en janvier 2020, cette cimenterie aurait produit 4 millions de tonnes d’acier», dit-il.

Pour les autres projets dans le secteur des chemins de fer obtenus par Haddad, Abdelmalek Sellal dément toute violation de la procédure et jure qu’il n’est pas ordonnateur et qu’il n’est signataire de rien.

Il affirme que Bouteflika «s’est présenté en candidat libre et ceux qui l’ont soutenu l’ont fait à titre individuel». Après lui, les deux anciens ministres de l’Industrie, Youcef Yousfi et Mahdjoub Bedda, se sont succédé à la barre.

Bedda estime avoir été victime de ceux auxquels il s’est attaqué dès sa prise de fonction et durant trois mois d’exercice, alors que Youcef Yousfi évoque une situation catastrophique héritée de Abdesselam Bouchouareb, son prédécesseur, qu’il a essayé de rattraper en apportant des changements profonds en matière de gestion et de préservation des deniers de l’Etat.


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