Un Pissarro définitivement restitué à une famille spoliée durant l'occupation nazie



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C'est la fin d'une douloureuse épopée : 77 ans après la confiscation des biens d'un collectionneur juif durant l'occupation nazie, la justice française a définitivement restitué mercredi à ses descendants un tableau de Pissarro détenu par des Américains, qui l'avaient acheté légalement aux enchères.  La Cour de cassation, le juge administratif suprême, a mis un point final à trois ans de procédure opposant deux familles autour de La cueillette des pois, une gouache au parcours semé de zones d'ombre, peinte en 1887 par l'impressionniste Camille Pissarro (1830-1903).
D'un côté, les descendants de Simon Bauer, un industriel français amateur d'art né en 1862, spolié de ses œuvres, dont La cueillette, durant l'occupation de la France par l'Allemagne nazie (1940-1944), pendant la Seconde Guerre mondiale.
De l'autre, les époux Toll, grands collectionneurs américains, qui avaient acquis ce tableau pour 800 000 dollars chez Christie's à New York (États-Unis) en 1995 et ont toujours dit ignorer sa provenance.
La famille Bauer avait perdu la trace de La cueillette jusqu'à ce qu'elle la retrouve exposée au musée parisien Marmottan-Monet début 2017, prêtée par les époux Toll dans le cadre d'une rétrospective consacrée à Pissarro. Elle avait alors obtenu son placement sous séquestre et assigné les Américains pour la récupérer.
En 2017, puis en appel en 2018, la justice française avait ordonné aux Toll de restituer la gouache aux Bauer, en s'appuyant sur un texte d'exception : l'ordonnance du 21 avril 1945 déclarant nuls les actes de spoliation.
Mercredi, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi des époux Toll, rendant définitive cette restitution.
Les hauts magistrats ont rappelé qu'en vertu de l'ordonnance de 1945, «les acquéreurs ultérieurs» d'un bien reconnu comme confisqué, «même de bonne foi, ne peuvent prétendre en être devenus légalement propriétaires».  Les héritiers de Simon Bauer, une vingtaine de personnes, vont désormais récupérer le tableau, qu'ils avaient laissé sous séquestre au musée d'Orsay, à Paris, dans l'attente d'une décision définitive. 

«Crime originel»
Dans un communiqué, l'avocat de la famille Bauer, Cédric Fischer, a salué une décision «historique» ayant rétabli ses clients «dans leurs droits légitimes». Cette décision «donne un fondement juridique incontestable à toutes les actions actuellement en cours ayant pour objet la restitution à leurs légitimes propriétaires d'œuvres d'art spoliées et détenues illégalement par des amateurs qui tentent de se prévaloir de leur bonne foi», a-t-il estimé. Rien n'a encore été décidé au sein de la famille quant à l'avenir du tableau, a précisé l'avocat. De leur côté, les collectionneurs américains comptent se retourner contre l'Etat français devant la Cour européenne des droits de l'Homme, a annoncé leur avocat, Ron Soffer. Les Toll «ne sont pas mécontents du fait que la famille Bauer puisse retrouver le tableau», «ils sont mécontents car finalement ce sont eux qui doivent payer pour un crime commis par le régime de Vichy», a réagi M. Soffer.
 «Le crime originel dans cette affaire a été commis par Vichy», a insisté l'avocat, pour qui «faire peser le poids des spoliations sur des intermédiaires est une décision regrettable qui ouvre une boîte de Pandore judiciaire». «Ce tableau est arrivé en France car M. et Mme Toll ont bien voulu le prêter en toute bonne foi pour une exposition au musée Marmottan», a-t-il encore souligné. La Cueillette était l'un des 93 tableaux de maître de la collection de Simon Bauer, qui fit fortune dans la chaussure.
En 1943, cette collection lui avait été confisquée et avait été vendue par un marchand de tableaux désigné par le Commissariat aux questions juives du régime de Vichy, qui collaborait avec l'Allemagne nazie.
Interné en juillet 1944 à Drancy, près de Paris, Simon Bauer réussit à échapper à la déportation.
 À sa mort, en 1947, il n'était parvenu à récupérer qu'une petite partie de ses œuvres. Mais ses descendants ont poursuivi son action pour reprendre possession de la collection.
La Cueillette avait brièvement refait surface en 1965 lors d'une vente, avant de disparaître à nouveau pendant un demi-siècle.   


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