Faut-il avoir peur de la seconde «ouhda» ?



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S’il est normal que les partisans y croient jusqu’au bout, même quand leur candidat n’a aucune chance, il serait néfaste pour l’observateur indépendant de tomber dans le même piège et d'ignorer la réalité politique de son pays au point de croire réellement aux miracles ! Comment voulez-vous que l’homme qui commande l’Algérie d’une main de fer dirige tout, sermonne ministres et cadres, oriente les travaux de construction de logements, supervise les chantiers, guide les projets hydrauliques, apparaît en permanence sur l'écran de l’unique chaîne de télévision, envoie chaque jour des messages aux rois et présidents du monde, préside des cérémonies à en veux-tu, en voilà, lit des discours à la pelle, parcourt l’Algérie d’un extrême à l’autre comme personne d’autre avant lui ne l’a fait, prend des bains de foule qui terroriseraient n’importe quel autre chef d’Etat, joue au baby-foot et visite tous les marabouts d’Algérie ; comment voulez-vous qu’un homme qui a la chance d'avoir Zerhouni comme ministre du vote, qui a des walis fidèles et zélés, des chefs de daïra fiers d’exhiber leurs “Thuraya”, qui est appuyé par trois partis d’ont l’un est dirigé par le chef de ce même gouvernement qui pilotera les élections, qui est aidé par des centaines de milliers d’associations dont on ignore l'activité exacte mais qui soutiennent, soutiennent, soutiennent ; comment voulez-vous que cet homme-là perde les élections ? 
Soyons sérieux ! Croire le contraire relèverait de la naïveté politique, si ce n’est de l’ignorance totale des pratiques en vigueur dans le pays profond et qui ne sont pas une invention de Bouteflika, loin s’en faut ! L’actuel président de la République va bénéficier d’un système qui a été installé bien avant lui : l’asservissement de l’administration, la dépendance de la société civile hors capitale, le chantage économique, la peur d’être marqué comme “opposant" qui continue à effrayer des millions de citoyens dépourvus de la capacité de lire la presse indépendante, le “beni-oui-ouisme” ambiant dans les douars éloignés, la manipulation des tribus, le poids non négligeable des zaouïas, tout cela existe et pèsera lourd le jour des élections ! Je pense honnêtement qu’ils n’auront pas besoin de trop trafiquer le vote, car le système a été bien huilé...
Ceci étant, et si jamais cette prédiction se réalise, faut-il avoir peur d’un second mandat de Bouteflika ? Bien sûr que oui, mais, au lieu de croire à un miracle possible et de risquer la gueule de bois le 9 avril, il faut dès à présent se préparer à une lutte pacifique de longue haleine pour empêcher l’autocratie d’aboutir et redessiner à nouveau les contours de cette République démocratique et réellement populaire qu’ont voulue les martyrs de la révolution. Car le danger est là, qui guette, qui avance à petits pas. Il s’appelle culte de la personnalité. L'Algérie n’a jamais chanté et loué son chef comme elle le fait actuellement. A Mostaganem, une scène m’a marqué : une opérette sans éclat, pareille à celles qui se jouaient devant Saddam Hussein, et puis, soudain, un rideau blanc s’ouvre sur le portrait de Bouteflika. Les jeunes comédiens, émus, se tournent vers ce qui pourrait être un astre rayonnant sur le monde et semant le bonheur et la joie ; ils lèvent les bras en signe de reconnaissance et chantent un hymne dédié au nouveau roi soleil ! En regardant cette scène à la télévision, j’ai eu froid de la plante des pieds jusqu’au bout des cheveux. J’ai tressailli dans mon siège : mon Dieu, j’ai vu cela en Corée du Nord ! J’ai vu cette scène dans un théâtre de Pyongyang ! Le roi soleil était ce jour-là Kim II Sung ! 
Jamais depuis 1962, l’Algérie n’avait connu cela. Malgré tous les excès, toutes les dérives, nous avons pu brandir, en tout lieu et en toutes circonstances, ce slogan cher à nos cœurs : “Un seul héros, le peuple !” Nos présidents de la République, quels que soient leurs déboires, ont su éviter le piège de la glorification qui rappelle les pires moments de toutes les dictatures ! Que s’est-il passé pour que nous en arrivions subitement à ces dérives dangereuses et qui passent malheureusement inaperçues, car, ni la presse, sous influence politique, ni l’opposition, hantée par la fraude, n’ont eu à en relever le caractère absolument périlleux pour la jeune démocratie algérienne ? A ces déviations sont venus s’ajouter d’autres faits qui marquent un net durcissement de la politique du pouvoir et un tour de vis supplémentaire au maigre champ des libertés publiques. L'histoire de la censure du livre de notre confrère Mohamed Benchicou (chapeau bas !) est un épisode de plus dans le long feuilleton des atteintes à la démocratie, dont le pouvoir actuel semble détenir la palme des records ! C’est aussi une remise en cause de notre droit, en tant que citoyens libres, de lire les œuvres littéraires et politiques de notre choix, y compris celles qui traitent de la vie des hommes publics, à condition toutefois qu’elles restent éloignées de la diffamation et de la vulgarité. Or, tous les avis convergent à propos de ce livre : le travail de Mohamed est absolument remarquable en termes de documentations et de témoignages précis, comme il est sans reproches sur le plan de l’éthique. Alors, pourquoi cette censure qui nous rappelle les règnes noirs de la tyrannie et l’image honnie des despotes brûlant les écrits des penseurs libres ? 
Ce sont ces dérives qu’il faut condamner vigoureusement aujourd’hui, c’est contre de telles pratiques qu’il faut se lever massivement, car elles présagent d’un avenir pas rose du tout, le début de quelque chose qui pourrait ressembler à une longue nuit. Cette nuit que la terreur intégriste a essayé d’imposer à notre pays, mais que des Algériens intrépides ont pu chasser, parfois au prix de leur vie ; cette nuit ne va pas revenir comme ça, par la grâce d’un système arrivé en fin de course et qui veut se régénérer par la manipulation et la démagogie, en gonflant les foules : tous les dictateurs ont commencé par là ! Nous n'accepterons pas que, par une pirouette dont elle a le secret, l’histoire nous taille sur mesure un nouveau roi devant lequel nous nous courberons comme ces jeunes comédiens de Mostaganem ! Et cela, au moment même où les forces démocratiques émergent dans le monde pour détruire ce qui reste de la tyrannie ! 
Et pourtant, l’occasion reste unique devant Bouteflika de terminer en beauté un long parcours politique. Qu’il lève l’état d’urgence, qu’il dise aux courtisans de cesser leurs louanges d’un autre âge ! Qu’il leur fasse comprendre qu’il n’est qu’un homme, avec de grandes responsabilités, mais un simple homme et non un Dieu ! Qu’il appelle les flics pour leur dire qu’il n’a pas peur d’un livre ! Qu’il cesse de harceler les journalistes indépendants et ceux qui disent la vérité, car, parmi ceux qui le louent dans la presse publique, beaucoup ne le font pas par conviction, mais par opportunisme ! Qu’il travaille sérieusement sur les grandes réformes, au lieu de faire dans le raccommodage avec beaucoup de promesses ! Qu’il dise publiquement : “Je suis un homme qui interdit d’interdire !”. 
Sa destinée sera-t-elle d'être l’homme du printemps algérien, des réformes courageuses et de la vraie démocratie ou se contentera-t-il du rôle peu recommandable de fossoyeur des libertés ? En attendant qu’il réponde à ces questions dans le silence glacial des cimes et l’effrayante solitude des sommets du pouvoir, il ne reste pas beaucoup d’alternative aux braves qui ont décidé de vivre libres dans leur pays, à ceux qui ne peuvent plus reculer sur le chemin de l’honneur et de la dignité : rester vigilants et continuer la lutte du mouvement citoyen, par les moyens pacifiques, pour faire reculer la peur et l’indifférence. L’exemple de Mohamed Benchicou et celui des Arouch doivent inspirer chaque Algérienne, chaque Algérien dignes de ce nom : c’est souvent loin de la politique partisane, par la parole libre, par la clarté des objectifs, par la mobilisation citoyenne massive et la cohésion que l’on fait reculer les dictateurs en herbe !
M. F.

PS : Cette chronique a été publiée dans Soir d'Algérie il y a 16 ans. Exactement le jeudi 19 février 2004


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