La pandémie de coronavirus vue par les sociologues



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Beaucoup désapprouvent le comportement récalcitrant de nos concitoyens, le condamnent et l’incriminent, mais rares sont ceux qui ont tenté de donner une explication scientifique à cette insoumission. La crise est gérée avec une approche de technocrates, et lorsqu’ils ne savent plus le faire, ils passent à l’injonction, la coercition et la répression. Il y a un pouvoir de la science et il faut l’admettre.

Irresponsables, inconscients, indisciplinés, récalcitrants, indifférents, insouciants, désinvoltes, inciviques, démobilisés, désolidarisation, manque de patriotisme ou carrément désobéissance civile ou opposition politique… les qualificatifs n’ont pas manqué pour désigner les Algériens, fort nombreux du reste, à ne pas se conformer aux règles et aux lois énoncées pour endiguer la propagation de la Covid-19.

Les consignes de port du masque, de lavage fréquent des mains et de distanciation sociale recommandées et rappelées inlassablement par les praticiens de santé et par les médias lourds, inefficacement soulignent de nombreux experts, ne sont pas appliquées par une grande partie de la population.

Les rassemblements et les attroupements, pour s’approvisionner en denrées alimentaires, dans les services publics et les lieux de travail, pour ceux qui se sont organisés, l’ont fait moins pour se protéger et protéger les autres efficacement que par crainte d’une sanction. Quant aux rassemblements familiaux pour les fêtes et les décès, rares sont ceux qui se sont entourés de précautions pour barrer la route à la contamination.

Les nombreux spécialistes et experts en santé publique, les scientifiques et les patriciens parmi lesquels les plus compétents et qualifiés ont abordé la pandémie sous toutes ses coutures.

Leurs interventions dans les médias, essentiellement techniques, stigmatisent cependant le comportement récalcitrant de nos concitoyens. Beaucoup le désapprouvent, le condamnent et l’incriminent mais rares, pour ne pas dire pas du tout, sont ceux qui ont tenté de donner une explication scientifique à cette insoumission.

Aucune réflexion ou approche sociologique et anthropologique pour comprendre ce qui s’apparente à de la désobéissance ou de la résistance. Des pistes qu’il serait fort utile d’explorer pour soutenir et consolider la lutte sanitaire.

«On ne décrète pas la distanciation»

Le professeur Nacer Djabi, sociologue et anthropologue, partant du comportement des Algériens face à la Covid-19, explique que «ça ne marche pas parce que la distanciation ne se décrète pas !» «Nous sommes une société du contact dans la vie courante, contrairement à d’autres peuples où les individus sont plus distants les uns des autres. Nos traditions, nos us et coutumes, les pratiques et les fêtes mais aussi les salutations, la vie de famille élargie ont fait que nous sommes très proches et que le contact physique est essentiel dans nos relations», insiste-t-il.

Il indique que l’«on ne peut pas gérer une société qu’on ne connaît pas».Les fêtes se déroulent en été, cela provient non pas des congés, relativement récents, mais de la persistance de la ruralité dans nos pratiques quotidiennes. «Des choses élémentaires qu’il faut savoir», assène le professeur Djabi. Si une grande partie des Algériens adopte des attitudes de refus c’est aussi, nous dit Nacer Djabi, parce que «le discours politique n’est pas écouté.

60 ans de mensonge ont annihilé la confiance indispensable dans une crise de cette ampleur». L’Italie et l’Espagne, pays qui ont été gravement affectés par la pandémie avec respectivement 35 000 et 28 000 morts, ont pris des risques calculés après des examens sérieux et de l’organisation. «Avec la confiance du peuple, ces pays ont fait face au pire et aujourd’hui la vie reprend», enchaîne Nacer Djabi.

«On ne communique pas de la même manière avec tous les Algériens»

«Dans les marchés, raconte le professeur, j’ai vu des familles qui déambulaient sans se presser en ignorant totalement l’existence du mal.» «Il faut aussi se pencher sur la relation que nous avons au temps. La gestion du temps chez nous est incroyablement insensée», conclut-il.

Chacun l’aura constaté, jusqu’au président de la République, la communication est défaillante, répétitive jusqu’à la monotonie, désuète, sans innovation attrayante depuis 4 mois. L’impression qu’elle dégage est qu’on s’est plutôt attardé sur la forme que sur le fond.

La preuve, c’est qu’aucun Algérien n’est capable de répéter un seul des messages sur la Covid-19, comme est le cas pour de célèbres publicités. «Le système d’information n’est pas au point», assène encore le sociologue. Parce que, explique-t-il, «le jacobinisme de l’Etat aux mains de technocrates omniscients n’autorise pas la diversité des langages, des messages, des images. On ne communique pas de la même manière avec tous les Algériens».

La Covid-19 a révélé trois problèmes majeurs, selon Nacer Djabi. En premier lieu, une gestion incohérence et désordonnée de l’espace national et des populations. Confinement, déconfinement, reconfinement, partiel, total, mouvements des populations des centres vers la périphérie et réciproquement, etc. Par exemple dit-il, «l’histoire de donner le feu vert aux walis aurait dû être faite dès l’apparition de la pandémie, mais ce n’est pas dans la pratique du pouvoir central. Maintenant c’est trop tard».

Dialogue de sourds

Dans cette crise, souligne le sociologue et anthropologue, l’apport des sciences sociales est nul alors qu’il y a des sociologues spécialisés sur les questions de santé, mais nos technocrates se sont penchés seulement sur les aspects santé de la gestion des hôpitaux et des malades… pas d’approche sociologique, anthropologique et des sciences humaines en général.

On ne leur fait pas appel. Le ministre de la Santé, sur les ondes de la Chaîne 3, n’a pas pu répondre à la question d’un auditeur qui s’interrogeait sur l’absence de sociologue dans le comité scientifique de suivi de la pandémie. «Chaque membre a un rôle précis, mais nous pouvons inviter des personnes ressources», a répondu Abderrahmane Benbouzid.

La crise est gérée avec une approche de technocrates, nous explique encore Nacer Djabi, et «lorsqu’ils ne savent plus le faire, ils passent à l’injonction, la coercition et la répression. Lorsqu’on a à faire aux populations, il faut une bonne connaissance de la société, et c’est avec l’appui de la sociologie, de l’anthropologie et des sciences humaines. Il y a un pouvoir de la science et il faut l’admettre».

Enfin, poursuit Nacer Djabi pour finir l’entretien, la Covid-19 a aussi révélé cette coupure entre les citoyens et les autorités que traduit la gestion de la crise, la réaction de la société. Comme elle révèle encore la défaillance d’un système avec le manque d’oxygène, de lits et de médecins. Pour les soignants, ajoute-t-il, «il y en a pas parce qu’on les a tabassés et qu’ils sont partis. On paye tout ça dans les moments difficiles», conclut-il.


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