Parlement

est-ce le chant du cygne… des courtisans ?



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Qui parmi les dirigeants politiques de la première génération postindépendance se souviennent qu’un jour, un gouvernement a été mis en difficulté au point de le pousser à la démission à la suite d’un vote de défiance imposé par le Parlement ? Personne, en effet, ne garde en mémoire la moindre trace d’un tel haut fait démocratique contraignant le pouvoir exécutif à revoir sa copie. Et c’est bel et bien à partir de cet historique déficit que le «non-pouvoir législatif» algérien tire sa mauvaise réputation. Celle de ne jamais critiquer frontalement l’action des gouvernements mais d’être plutôt disposé à lui faire la courte échelle afin qu’ils puissent légaliser leurs projets de loi sans recourir aux débats pouvant, tout au moins, déboucher sur des amendements.
Confinés, par conséquent, dans des liens de quasi-allégeance, les partis politiques, formant solidairement la majorité structurée par le palais, furent, effectivement, à l’origine d’un certain mercenariat politique qui s’avéra, assez tôt, pire que la doctrine du monolithisme préconisée par le parti-État. En effet, malgré le formalisme de la pluralité partisane que la Constitution de 1996 instaura, l’inclination à se mettre au service exclusif du pouvoir est demeurée intacte. Certes, il y eut parfois des prises de bec entre les députés aux convictions différentes, sauf que les contradicteurs finissent toujours par renoncer au «non» et lever la main en guise de «oui». C’est dire qu’il est devenu habituel de préserver le primat de l’exécutif en toutes circonstances. Passés théoriquement du statut de pôle d’enregistrement à celui de forum de la liberté d’expression, les deux volets (APN+Sénat) de ce Parlement furent formatés de fond en comble par l’ancien régime au point qu’ils finirent par dévoyer leurs magistères.
En fait, le discrédit jeté sur cette institution, totalement inféodée aux souhaits venant d’en haut, était unique en son genre. Et pour cause, le pluralisme, qui aurait dû mériter, de surcroît, la notoriété de sanctuaire de la démocratie, devint son propre contre-modèle. En effet, le Hirak l’avait régulièrement brocardé en qualifiant d’officine du banditisme ! Une lamentable démonétisation qui se justifia par le seul fait que les mandataires firent de leurs maroquins officiels un symbole de rentiers alors qu’il était attendu à ce qu’ils ouvrent des perspectives de réflexions susceptibles de donner du sens aux aspirations populaires. 
D’ailleurs, la notion même de majorité gouvernementale destinée à la justification des votes positifs a, toujours, relevé de la mystification politicienne. Pour s’en faire une idée, il suffit d’évoquer les péripéties du FLN ou du RND durant les quatre législatures (2002, 2007, 2012, 2017) qui accompagnèrent le régime de Bouteflika ; et cela pour comprendre à quoi riment les «coalitions» ou bien les «alliances» commanditées par le palais alors que la notion de rapprochement idéologique n’a jamais été évidente. En fait, nous avons affaire à des «missions» contractuelles uniquement destinées à neutraliser l’APN au profit du gouvernement. En peu de mots, vider le Parlement de ses véritables attributs. À ce sujet, l’exemple le plus édifiant est celui de la présence aux manettes de l’exécutif du fameux Ouyahia. En deux décennies, il eut à conduire six gouvernements avec de multiples variantes partisanes. Or, ce jeu de combinaisons, dont l’unique intérêt consistait à corrompre, par la carotte, les vrais-faux élus, n’a-t-il pas contribué à clochardiser la fonction de député aussi bien que celle de sénateur ? 
En soi, cette question nous amène à s’interroger à nouveau sur l’utilité de cette institution. «À quoi sert le Parlement ?», n’est, par conséquent, pas une demande connotée par les dérisoires tournures caractérisant les fausses joutes de l’Assemblée. Elle était plutôt ancienne et consubstantielle à la rénovation factice du système qui se donna une nouvelle constitution en 1996. Seulement, la promotion du pluralisme n’a jamais signifié pour le «système» qu’il devait, à terme, s’effacer du champ politique, ce qui n’avait eu lieu ! C’est ainsi qu’il lesta les assemblées élues de contrepoids dans chacune des deux chambres. Par exemple, au Sénat, l’on inventa le tiers présidentiel qui consista à réserver un quota de 48 sièges sénateurs au profit du chef de l’État, alors que l’APN devait nécessairement demeurer sous influence du pouvoir exécutif afin qu’il pût conserver la mainmise sur la majorité.
Cette castration du Parlement qui n’a jamais été le fait du hasard avait, évidemment, fini par devenir un procédé sophistiqué à la veille de chaque nouvelle législature. Mais, au-delà de ses constantes interventions, le pouvoir ne sut pas se départir du caractère douteux de la sélection des candidats. En effet, dans leur majorité, les députés sortis des fausses urnes se s’abusent guère sur l’origine exacte des voix qui les ont élus. Même si, par orgueil, ils relativisent le degré de la manipulation, en revanche, ils n’ignorent pas qu’ils doivent une bonne part de leur «élection» à la théorie des quotas. C’est, d’ailleurs, cette légitimité suspecte qui a fatalement contribué à altérer ce qui ressemblait à de l’engagement et aliénait ce qui leur restait de liberté voire d’indépendance politique.
Ainsi, par un retournement coupable, les parlementaires vont constater qu’ils n’ont pratiquement plus la possibilité de s’émanciper de manœuvres peu honorables qu’orchestre généralement le «big boss» du parti. Des pratiques à la limite de l’éthique prévalant au sein des institutions que les dirigeants d’appareils transgressent sans vergogne et, parfois même, en se prévalant des coups tordus qu’ils imaginent puis assènent aux vis-à-vis siégeant dans la même chambre. C’est pourquoi, même les députés qui, à l’origine, étaient peu disposés à la malveillance finiront tous par adhérer à la servitude payante comme au temps des assemblées croupions. Certains d’entre eux n’hésiteront plus pour s’impliquer dans de basses œuvres consistant à disqualifier par la violence les réfractaires à la complotite comme ce fut le cas des députés du FLN, devenus des «baltaguis» sur ordre du tuteur Belkhadem, parti en guerre contre les légalistes du 7e congrès dont la résolution finale état implicitement défavorable à tout soutien à Bouteflika. D’ailleurs, la débandade au sein du groupe parlementaire du FLN de cette époque illustre à elle seule la pire insulte faite à la classe politique. Depuis ce temps-là, l’immunité dont ils adoraient le cocon les a, en quelque sorte, vaccinés contre la honte, à l’image de la fameuse nomenklatura qui eut l’outrecuidance d’engager la polémique pour peu qu’il lui soit rappelé la nature dictatoriale de son fonctionnement. Il est vrai qu’à ce propos cette «maison» politique vient de parapher sa déchéance après avoir été à l’origine d’une opération de ripoux consistant à la vente de maroquins pour députés en contrepartie de la «modeste» somme de quelques milliards de sous par strapontin !
Comme quoi, la voyoucratie en politique transmet ses ficelles d’une génération à une autre, alors qu’en haut lieu, l’on a toujours feint d’ignorer ce virus de la rapine qui rongeait la pauvre République d’Algérie.
B. H.


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