Amar Ezzahi et les chantres du melhoun algéro-marocain



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Faire revivre Amar Ezzahi, c'est inévitablement parler du melhoun. Une sublime poésie populaire en arabe maghrébin, bédouine ou citadine, qui s'est développée sous une forme littéraire peu conforme à la structure de la poésie classique. Ibn Khaldoun mentionnait lui-même des créations maghrébines ou andalouses du zadjal, forme poétique similaire au muwashah arabe classique. À l'honneur chez les soufis, elle utilise exclusivement l'arabe dialectal et s'adapte fort bien à la musique pour mieux chanter la nature, le vin et l'amour. Le zadjal fut donc le précurseur du melhoun. Mais c'est incontestablement le poète Sidi Lakhdar Benkhlouf, saint de la région de Mostaganem, qui a mis en place les jalons essentiels du melhoun en Algérie. L'on peut dire, donc, que le melhoun est algéro-marocain. Le célébrer et raviver la mémoire de ses grands chantres, c'est aussi exalter l'amitié entre les peuples algérien et marocain, à travers une mémoire culturelle commune.
Amar Ezzahi, qui aura chanté le répertoire partagé du melhoun, fut ainsi une synthèse artistique de ce registre poétique, au plus grand bonheur des mélomanes des deux pays. Le cheikh a donc chanté indistinctement les bardes algériens et les chantres marocains du genre. À commencer par le «géant» marocain Abdelaziz El Maghraoui, cadi à Fès, né en 1533, 73 ans après l’Algérien Sidi Lakhdar Benkhlouf. Et comment alors ne pas s'émouvoir perpétuellement en écoutant Amar Ezzahi chanter, entre autres, avec sa voix chaude du miel de la tendresse, Maychali, Ana Aâchqi Adraoui, Sellem Ya Men Lem Fel H'wa ou encore Ya Bdour Ezine El Meknoune ? Amar Ezzahi aura également fait nombre de bouquets dans les roseraies poétiques marocaines de Kaddour El Alami (1742-1850), l'un des plus grands noms du melhoun. Ah ce magnifique trouvère à la fois romantique, moraliste et mystique !
Comme tant d'autres grandes voix du chaâbi, Amar Ezzahi a prêté la sienne à ce scoliaste de Meknès pour magnifier notamment El Meknassiya, Ya Krim El Kourama, dite aussi El Farradjiya et Ettaouessoul. Sans omettre la grisante Essaqui, Laâb Men Doun Chtara et la spirituelle et contemplative Ya Lotf Allah El Khafi. Le diwan de l'immense Ben Ali Chérif Oueld Erzin de Fès, un des plus grands maîtres du melhoun marocain (1742-1822), fut par ailleurs un champ philarmonique pour le cheikh de la rampe Valley qui vécut à l'ombre protectrice de Sidi Abderrahmane. Et quel bonheur khéloui que celui de le réécouter interpréter Zenouba, Salaf Mekmoult El B'ha, Dami H'ouit Loughzala et, bien sûr, Mir El Ghiouane. Ou bien et tout aussi bien, Aâlache Ya L'djafi et Toueê Ya El Ghafel werdjaâe Lel Ghani.
Dans l'océan du melhoun, le génial et prolifique aède Mohamed Benslimane fut lui aussi pour Amar Ezzahi une fontaine fraîche d'inspiration musicale. Il y puisa tout particulièrement Goumriate Lebroudj, a Saqi Baqi Nor Echemâana et Ya El Ghorri fé Dénnya Ma Tkoun Maghrour. Mais aussi Ya TeH'lil Essoltane, Ya H'le ezzine El Fassi, Mersoul Fatma et Ya sah Zarni Mahboubi. Et c'est avec la même appétence qu'il s'est nourri de la poésie innovante de Mohamed El Masmoudi, auteur de mots de fine dentelle et de délicates guipures. En premier lieu, le rubis poétique Mir El Ghram, sublimé en Algérie sous le titre de Goulou l'Yamna. Dans sa quête du nirvana, cette émulsion de sons bouleversants et de mots envoûtants que les Algérois appellent le khéloui, Amar Ezzahi trouva d'autre part en Touhami Ben Ahmed El Medaghri une veine inespérée. Avec une prédilection pour El Batoul et Mel Men Qassem Qelbi Men Syouf Lechfar. Avec le même bonheur artistique, il fut longtemps inspiré par Cheikh Mthired El Djilali qui lui offrit comme il le fit pour tant d'autres grands noms du chaâbi, l'émeraude de pureté absolue qu'est Ya Dhif Allah.
Aborder le lien d'Amar Ezzahi avec le melhoun marocain ne peut se faire certainement sans également l'évocation de Cheikh Embarek Essoussi, le père de l’onirique et sensuelle Youm El Djemââ Kharjou Erryam. Une hématite noire parmi d'autres diamants poétiques tels que Charâa Allah Mâak Ya H'lal Ezzine, Tal Tihanek Ya Mahboubi, Saâdat El Qelb El H'ani ou encore Lech Tebki Ya Men Djerhouk Lermeq. Ah ! Il y a aussi Cheikh Mohamed Ennadjar, le génial géniteur de El Aârfaouiya, Sir Anakar Lehsane et Ghedar Kassek Ya Ndim, parmi d'innombrables illuminations poétiques. Il y a donc les rhapsodes marocains dont la liste ne peut être contenue dans une modeste chronique de journaliste. Et il y a aussi, noblesse poétique oblige, les amants des muses algériens, dont le plus grand de tous, Sidi Lakhdar Benkhelouf Lakhal, merveilleux panégyriste du Prophète auquel il voua tout son art. Amar Ezzahi et bien d'autres chouyoukh du chaâbi lui doivent singulièrement El Khazna El Kbira et El Khazna Essghira. Dans sa suite glorieuse, il y a d'abord Saïd El Mendassi, le poète tlemcenien du XVIIe siècle exilé au Maroc. Dans son œuvre, brille de mille feux El Aâ'qiqya, une longue qcida pour les Lieux Saints. Cet incomparable ménestrel fut le maître d'autres troubadours algériens comme Ahmed Bentriki et Mohamed Bna Msayeb. On doit notamment au premier Abouya hnini tab qelbi men qoulette lala.
Dans cette lignée prestigieuse, figure également Cheikh Bettobdji Abdelkader de Mostaganem, auteur de Lellah ya h'li a-âadhrouni et le splendide beyt we syah Ah ya ouelfi. Et comment ne pas citer l'Algérois, dont la poésie est d'or pur cousue, Cheikh Mohamed Ben Ismaïl, créateur de la mythique Ya ilahi weltof ya del krim bia, mais pas seulement ? Mention spéciale d'autre part à Cheikh Ben Omar, surnommé El Hadbi (le bossu), producteur de la très suggestive Tlata zahwa wemraha men h'wa h'oum mani sahi. Et, bien sûr, dans le registre de l'excellence poétique, Mohamed Ben'Msayeb, le Tlemcenien aux racines andalouses, qui aurait composé quelque 3 000 poèmes, dont le providentiel Ya ahl Allah ghithou el melhouf. Et, parmi tant d'autres compositions, le divin Ya l’Wahdani. Lui reviennent aussi, de plein droit artistique, Ya aâchaq ezzine, Men sab mâa elmlih fardja, Men ne'houa rouhi ourahti, Fadh elwahch aâliy, Kif aâmali ouhilti, El horm ya Rassoul Allah, Anaya barrani ghrib, Nari w'qourhti we sbeb el qelb el hzine, ou bien Zora ya aâchqine zora.
Dans le sillage de Ben'Msayeb, Boumédiene Ben Mohamed Bensahla, lui aussi de Tlemcen. Tel le grand poète arabe Omar Ibnou Rabiâa, Bensahla fut un homme à femmes dont il loua l'amour de toutes ces divines créatures ! Et c'est à toutes ces belles Tlemceniennes qu'il dédia sa fameuse qcida Nabouni roudou el djwab. Parmi ces sirènes de beauté, il y eut en particulier Fatma à laquelle il composa Youm el khémis wach eddani, Oueld ettir, M'dhebel lâayan et Sidi men yssel aala kahl el âayn. Il fut tout aussi bien inspiré en tissant les trames de Baghi n'djaour El Mustapha, Wahd el gh'zal rit el youm, Charâa Allah ya lahbab et Ya dhaou âayani. Et dire qu’Amar Ezzahi transcrivait phonétiquement ces poèmes complexes en lettres latines pour mieux les déclamer en arabe maghrébin, avec une clarté et une précision époustouflantes ! Le génie, c’est aussi ça !
N. K.

 


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