Caricatures… indigènes

le décryptage d’Alain Ruscio



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Ils  n’allaient  pas  s’en priver, pardi ! S’ils apportent la « civilisation », c’est qu’ils sont supérieurs aux autres et ça leur donne le droit de se marrer des barbares. Oui, en plus de les opprimer, le colonialisme n’a pas pu s’empêcher de railler les colonisés. Notamment par la caricature et le dessin satirique. Toujours fidèle à ses convictions et à sa rigueur, l’historien Alain Ruscio continue à surprendre le sournois colonialisme là où on ne l’attendait pas. Dans ce nouvel ouvrage illustré et volumineux, Quand les civilisateurs croquaient les indigènes(1), il s’applique à décrypter la façon dont les colonisateurs caricaturaient les « barbares ». 130 ans de colonisation en Algérie, un siècle en Indochine, 80 ans en Tunisie et en Afrique subsaharienne, un demi-siècle au Maroc ont, bien entendu, inspiré les caricaturistes qui ont multiplié les clichés sur les colonisés.
L’ouvrage s’intéresse aux dessins et caricatures – « Un moyen d’expression qui parle au plus grand nombre sans les circonlocutions et parfois les hypocrisies du discours.» — portant sur  une période allant de 1830 à 1962, dates respectives de la conquête de l’Algérie et de son indépendance. L’étude de l’ensemble de ces documents montre comment, à travers le dessin, trois ou quatre générations de Français ont biberonné la propagande sur l’inégalité des races.
Introduit par Marcel Dorigny, l’ouvrage compte 3 parties. La première, «Le soleil ne se couche jamais sur notre Empire » (adage désignant la vastitude de l’empire de Charles Quint), s’attache à disséquer la propagande coloniale qui, en produisant des épisodes épiques, fabrique des héros pour justifier la cruauté à l’égard des peuples colonisés. S’ensuivent ces images de massacres, de guillotine, de têtes tranchées, de corps coupés par les boulets de canon, le tout glorifié par le drapeau français.
À chaque étape de l’édification de l’empire, son iconographie spécifique. Chaque nouvelle conquête rencontre des résistances et chaque résistance est discréditée par la caricature. Pour rallier l’opinion aux bienfaits de la colonisation, plusieurs moyens sont mis en œuvre, les manuels scolaires, les discours politiques, les expositions et exhibitions coloniales, la chanson et le cinéma. Des auteurs connus pour leur humanisme y succombent. Maupassant écrit : « Qui dit Arabe, dit voleur sans exception. » Tandis que Victor Hugo pense que « l’Afrique n’a pas d’histoire ».
La seconde partie de l’ouvrage est consacrée au couple vicié « Civilisateurs et indigènes ». La colonisation, à force de propagande, a fini par revêtir les oripeaux d’une obligation morale. Les races dites supérieures imposent ce sentiment d’être investies d’une mission. Les Jaunes sont fourbes et redoutables. Les Arabes, le colonisateur les croque mesquins, éternels traîtres, fanatiques. Quant aux Noirs, ils sont le « modèle de l’être inachevé, à l’état d’enfance ». D’où un déchaînement de caricatures avec les « rires Banania », le tirailleur sénégalais, lèvres charnues et dents à la blancheur éclatante, l’Arabe et son chameau, etc.
En déconstruisant l’iconographie caricaturale par laquelle étaient représentés les colonisés, Alain Ruscio établit un état de l’empire mais aussi des résistances au Parti colonial. Les arguments de celui-ci sont connus : mise en place d’écoles, construction de dispensaires et hôpitaux, lancement de grands travaux. Mais « la colonisation ne fut pas une œuvre altruiste. Il ne s’agit pas ici d’un jugement moral : un système économique l’a-t-il été au cours de l’Histoire ? », interroge l’auteur.
Contrecoup de l’occupation : l’importation en Métropole d’une main-d’œuvre non qualifiée, sous-payée et abondante et une incorporation des « indigènes » au sein de l’armée française dont la caricature s’empare sous des traits « sympathiques et courageux ». Après 1945, et sans doute à la suite des révoltes de l’Est algérien qui firent 45 000 morts resurgissent les stéréotypes. Le dessin va exprimer la méfiance et l’hostilité à l’encontre des peuples colonisés.
La colonisation n’a pas été un long fleuve tranquille. « Des voix qui crient dans le désert », la dernière partie de cet ouvrage, est consacrée aux différentes formes d’opposition à la colonisation. Le paradoxe, relève l’auteur, est qu’initialement, ce furent surtout les conservateurs qui s’opposèrent aux conquêtes. Motif : le coût en pertes humaines et financières. Puis bientôt le Parti colonial imposa sa vision expansionniste. L’opposition se déplace alors vers les milieux libertaires. Les journaux comme Le Grelot, L’Assiette au beurre, La Calotte, Le Père Peinard, mènent la guerre du trait focalisant la critique sur l’alliance du sabre et du goupillon.
Après 1917, la révolution bolchévique fait émerger en Métropole une nouvelle opposition à la colonisation, celle des communistes. Leurs publications utilisent à leur tour le dessin comme mode de solidarité internationaliste.
L’ouvrage s’achève sur une postface intitulée « La décolonisation tragique ». Une tragédie illustrée notamment par deux dessins antagoniques qui résument toute la dérision du projet colonial. L’un exhorte la grandeur de la France, « Indochine terre française », avec un char conquérant. L’autre figure «L’enfer de Dien Bien Phu» avec un soldat français les bras levés en signe de reddition.
Voilà un bon voyage dans l’histoire de la caricature en ces temps où celle-ci devient le motif de tragédies. Espérons que ce livre trouvera un éditeur algérien pour le rendre accessible aux bourses de chez nous.
A. M.

1) Alain Ruscio, Quand les civilisateurs croquaient les indigènes (Dessins et caricatures au temps des colonies), éditions Cercle d’Art, 263 p.


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