Loin de ton monde impitoyable



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C'est pratiquement la cinquième année que je passe à la campagne, loin des sonorités incommodantes de la ville et de ses mélancolies. Je ne suis pas parti d'Annaba sur un coup de tête. J'en avais marre de l’avilissement d'une société totalement rongée par la corruption et la peur. J'en avais marre de voir les gens se courber devant Tliba qui, tel un prince du Moyen-Age, faisait la pluie et le beau temps dans une cité de cerfs abattus. J'écrivais des articles contre Tliba et sa bande et je me posais des questions ; «qui est derrière lui ?» J'ai répondu : il y a peut-être un général ! Puis, dans un autre billet, j'ai cité le président de la République. Oui, pour avoir tout ce poids (au sens figuré, le sens propre étant… évident), il avait peut-être l'appui de Bouteflika himself ! Puis, un jour, n'en pouvant plus, j'ai écrit : «C'est le pape qui le soutient !» Et, enfin, que Dieu me pardonne, j'ai même osé un «c'est certainement le patron du pape...»
D'où venait ce gars qui avait réussi, en un tour de passe-passe, à gravir tous les échelons de la politique pour se retrouver au troisième rang des personnalités algériennes ? Je ne cherchais plus à comprendre. Un copain a posé la question au wali : «Pourquoi tous ces passe-droits ? Pourquoi ces cortèges royaux avec des accompagnateurs zélés et des bodyguards en pagaille ?» Le pauvre wali a répondu : «Quand je vois le Premier ministre, dès sa descente d’avion, courir pour l’embrasser…»
La fortune du gars enflait comme un pachyderme du zoo de Berlin (il faut voir quel menu on leur propose dans ce parc animalier !), son autorité grandissait... Il avait bâti un immeuble dans un endroit impossible, ne laissant qu'un mètre entre l'enceinte et la route express qui mène vers la sortie ouest de la ville. Il y avait, à cet endroit, un espace verdoyant avec de jolis arbres qui égayaient cette colline bouffée déjà, plus haut, par le béton. Le hasard a voulu que je passe par là au moment même où une pelleteuse s'acharnait sur les plantes. Une photo et un entrefilet en Une du Soir d'Algérie relateront ce fait divers qui n'intéressait personne à Annaba. Je ne sais pas si le terrain est sûr pour accueillir une aussi lourde installation mais j'ai appris que des experts ont refusé de donner les autorisations nécessaires. Cependant, Tliba n'est pas homme à reculer devant l'intransigeance de cadres honnêtes. Non content de ne pas respecter certaines règles d'urbanisme, le Tliba va ajouter une aile encombrante à son immeuble, un prolongement qui jouxte la montée de Séraïdi. Et là, ça craque ! La route est fissurée et certaines villas sur les hauteurs sont ébranlées. Je reçois un coup de fil d'un habitant : «C'est trop, trop ! Il veut démolir nos logements ! Comment a-t-il pu obtenir les autorisations ?» Je publie un article et je donne rendez-vous au gars en lui recommandant de réunir les autres habitants pour faire un papier plus complet. Le lendemain, le bonhomme se débine. «Il y a eu arrangement à l'amiable !» Ce n'était pas un arrangement, c'était la peur... La peur, je l'ai vue sur beaucoup de visages. Parfois, sans raison. 
Je n'en pouvais plus. Chaque jour qui passait m'enfonçait dans la grisaille. J'imaginais le désarroi de ceux qui sont au cœur de la tempête. Moi, je n'avais aucun contact avec Tliba et sa bande. Mais ceux qui subissaient leurs abus, leur mal, leurs excès, comment devaient-ils être ? Je parle de ceux qui souffraient en silence, qui supportaient mal le poids de l'iniquité et qui n’avaient aucun moyen de se défendre. Je ne parle pas des laudateurs, ces équipes nationales de la brosse, qui sont toujours là pour défendre la réputation des maîtres, de ceux qui courent au salon de thé, avant leur arrivée triomphale, pour bien se faire voir, ni des armées de «facebookers» qui alimentent les panégyriques. 
Je n'en pouvais plus. Un beau jour de l'année 2016, je pris la décision de quitter l'enfer annabi et j'avais d'ailleurs d'autres raisons plus terre à terre pour ne plus y rester : l'humidité et la pollution m'avaient totalement lessivé. Ma rhinite s'était transformée en difficultés respiratoires qui n'étaient pas très bonnes pour un cœur déjà malade. Mon dernier billet bônois disait à peu près ceci : vous avez pris chaque pouce de terrain libre grâce à Google Earth. Vous avez bétonné la mer du côté de Chapuis. Vous avez pris les cieux... Je m'en vais avant que vous ne preniez tout l'oxygène...
Depuis, je vis à la campagne. Les senteurs qui viennent à moi sont un mélange de crottes de moutons, d'herbe fraîche, de lavande, d’œillets, de menthe, de basilic, de roses et de terre mouillée. Je vois le ciel tel qu'il est. Je le scrute pour savoir s'il va pleuvoir ou s'il y aura du vent. La nuit, j'attends la levée de Mars à l'est et je reste ébahi devant la puissance de la luminosité de Vénus. La lune va et vient. Je ne me lasse jamais d'une promenade nocturne en pleine lune. Les yeux des fennecs, des lièvres, des rats de champ et d'un tas d'autres bestiaux brillent comme des phares dans l’obscurité environnante. Les jeunes d'un champ de melons mitoyen les pourchassent souvent dans un tintamarre indescriptible.
J'aime parcourir les champs et les pistes isolées. J'y rencontre beaucoup de sportifs qui courent chaque après-midi. Parfois, je rejoins les bergers et leurs troupeaux. Les moutons sont bien sur leurs pattes, immaculés et alertes. Ils n'ont rien de ces animaux malpropres, malodorants et dodus que l'on engraisse dans les écuries surchargées. Je reste de longs moments avec les bergers. Ils ne chantent plus comme avant et ont un smartphone à la place de l'inévitable flûte... Ils écoutent le raï car c'est la musique qui leur parle de la vie, de la jeunesse, de l'amour, de l'injustice, de la harga... J'aime leur manière de voir les choses : leurs rêves ne s'emballent pas comme des bêtes en furie. Ils sont calmes comme leurs agneaux. Ils rêvent d'une demeure confortable, d'une belle femme, d'enfants bien éduqués. Dernièrement, un voisin berger s'est cassé l'épaule en tombant de son âne... Après huit mois, il vient de reprendre du service et, chaque soir, peu avant le coucher du soleil, je le rencontre à la tête d'une dizaine de chèvres qu'il ramène au bercail. Et c'est pareil chaque jour. Toute l'année, sauf les jours de grosses pluies ou de neige abondante.
Mes amis me disent : «tu ne t'ennuis pas ?» Quand on vit au milieu de la nature, que l'on se nourrit de la nature et que l'on y déniche mille et un plaisirs enfouis, on n'a pas le temps de s'ennuyer. À la fin du printemps, on attend la récolte des mûriers qui sont les premiers arbres à annoncer le bal. Viennent ensuite les nèfles et les abricots. Puis tous les beaux fruits de l'été, avec une préférence pour le raisin de la belle vigne qui couvre ma terrasse nord, avant que les figues ne fassent honneur à nos petits déjeuners. Un autre invité de valeur : les figues de Barbarie... J'observe les olives qui peuplent une dizaine de jeunes arbres. Oui, la récolte sera bonne. Ici, il n’y avait rien, hormis l’herbe folle et la ronce. Et aussi une colonie de serpents dont il reste quelques rescapés avec lesquels nous vivons en bonne harmonie.
Comment s'ennuyer alors que la vie est remplie de belles découvertes, de rencontres avec des gens authentiques, de sorties champêtres, de balades bucoliques... La forêt de Boussessou, au-dessus des ruines de Madaure, est une invite à se noyer dans le vert apaisant de ses pins. Au-delà, c'est le territoire Sioux, comme aime à le dépeindre mon ami Hamid. Une immense cuvette semi-désertique, parcourue par les vents de la steppe qui font valser les touffes d’alfa et se lever les poussières éblouissantes. La vallée, peuplée de quelques rares fermes isolées, fut le territoire privilégié des terroristes. Et aussi le théâtre d’actes de bravoure que la politique de Bouteflika a mis aux oubliettes.
Pourrais-je revivre dans une ville ? Je ne sais pas. Les rares fois où je monte à Alger, j'ai mal à la tête à cause du tourne-manège permanent. Je préfère les hôtels retirés sur le littoral où je retrouve la mer ! L’autre passion d’une jeunesse gavée de soleil et de fraternité. Jadis…
M. F

 


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