Comment quatre jeunes ont ressuscité un village



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Reportage réalisé par Yazid Yahiaoui
Tout est parti d’une idée lancée par un groupe de quatre jeunes  villageois, dont le point commun est l’amour de leur village et la soif de le réhabiliter, tant celui-ci constitue pour eux leur raison d’être. Ils ont décidé de balancer leur idée à travers leurs pages Facebook, ainsi que celle du village. Et ce fut le buzz. 

Ils étaient là, à Ameziav, une placette  en contrebas du village à la sotie nord,  réputée être un lieu de rencontre et de rassemblement des hommes qui viennent se désaltérer à la source située sur place, mais également deviser, tout en fabriquant des produits artisanaux qui avec l’osier pour les corbeilles et autres paniers, qui avec des morceaux de bois et un couteau bien affûté pour en fabriquer des cuillers ou autres cannes, etc. Mais plus que tout, le lieu, de par sa fraîcheur, surtout en été, est souvent le point de rencontres, de tajmaât, l’assemblée du village. 
C’est là où se discutent et se règlent  tous les problèmes de la communauté. C’est dire combien était importante pour les jeunes cette symbolique, cette valeur ancestrale que charrie le lieu. Une idée lancée à travers la Toile, qui a drainé en un temps record une mobilisation spontanée et incroyable. 
Ainsi, dès le premier vendredi d’octobre, un engouement sans précédent a été enregistré grâce aux jeunes villageois,  parmi lesquels on peut citer principalement l’infatigable Madjid Aggad, Baânou Banouh, et autres Slimane Taleb. Des jeunes instruits qui ont vite fait oublier aux villageois les vieilles querelles tribales des vieux, qui ont toujours été derrière les blocages de toute initiative allant dans le sens de la réhabilitation du vieux village martyr d’Imesdourar ou M’zarir.
Au fil des jours et des semaines, des villageois adhérent de plus en plus à l’idée de «tachemlit» et donnent sa vraie valeur à cet esprit de solidarité qui a toujours caractérisé Imesdourar. 
Ainsi, après la réhabilitation de la place de «Ameziav» avec la construction de murs, la réhabilitation de la source existante et la décoration des lieux par des artistes du village très connus sur la scène locale et même nationale, à l’image d’Aimène Nacer et Dahmouni Khaled. Les jeunes, davantage stimulés, se sont lancé un autre défi, celui de créer une voie carrossable à l’intérieur de ce village construit pendant les années 1900, à une époque où l’idée même d’une voiture ne pouvait traverser l’esprit. Les ruelles très  étroites ne pouvaient permettre que le passage d’une mule ou d’un âne sellé d’un «chouari».
Pendant près d’un mois, l’opération se poursuit ; chaque vendredi, des centaines de personnes natives du village y convergent pour démolir les murs et même les maisons  gênant toute extension et élargissement de la voie principale qui va traverser le village du sud au nord, en passant par Ameziav pour  rejoindre l’autre côté nord, en contrebas, la source noire ou «Ainsar averkane» et la route carrossable datant de l’ère coloniale. 
En effet, durant les années 1930, après la découverte de la «source noire», les Français, qui ont constaté qu’il s’agissait plus d’un torrent souterrain que d’une simple source, tant le débit dépassait 1800 l/s pendant l'hiver et pas moins de 300 l/s pendant l’été, ont vite pensé à la création d’une station hydroélectrique, du côté du village d’Illilten. Aussi, pour le captage de cette source, les lieux étaient construits en béton et les conduites en acier ; même un tunnel souterrain de plus de trois mètres de hauteur sur une distance de plus de 3 km a été creusé. 
L’entretien de cette source a exigé un curage régulier et une piste carrossable beaucoup plus bas, du côté du village Imesdourar, longeant l’oued qui coule depuis le col de Tizi n’Kouilal, en passant par la «source noire» et poursuivant sa route jusqu’à la plaine pour rejoindre l’oued Sahel, dans la région de M’chedallah, puis la Soummam et la mer Méditerranée. 
Mohand Aggad, un autre villageois très actif dans le mouvement associatif, nous servira de guide pendant notre déplacement vers ce village en ce vendredi ensoleillé mais frais. Celui-ci nous confiera que le premier travailleur recruté à l’époque coloniale pour le curage de cette source était son propre père. 
Un curage méticuleux supervisé par les responsables français qui résidaient un peu plus bas, là où est implantée la station hydroélectrique. 
Aussi, l’objectif des villageois, après l’ouverture d’une route traversant leur village, est de raccorder cette voie qui mène à la RN30 à la piste qui mène jusqu’à la «source noire». 
Ce vendredi-là donc, nous avons constaté  que les jeunes sont finalement plus intelligents et plus ouverts que les vieux, dont l'entêtement à ne céder aucun ampan de leurs lopins bloque toute initiative. Ces vieux étaient d’autant plus contents qu'ils finirent tous par reconnaître leur mentalité tordue et par la même le mérite de ces jeunes. 
Outre l’ouverture de cette route qui traversera tout le village, d’autres voies secondaires font l’objet de tractations pour que les propriétaires cèdent quelques surfaces de leurs terres. Certains le font gratuitement, mais quand il s’agit de démolir une maisonnette ou une échoppe, le principe d’une reconstruction de cette bâtisse sur les mêmes lieux mais avec un recul de quelques dizaines de centimètres est toujours retenu. 
Ce qui arrange tout le monde.  Cela étant, en ce vendredi 23 octobre 2020, en plus de la mobilisation des villageois pour la route principale, d’autres groupes de villageois étaient mobilisés de l’autre côté, un peu plus haut, pour la réhabilitation d’une autre source d’eau, celle exclusivement réservée aux femmes du village.

Il était une fois un village appelé Imesdourar
Retour à Ameziav où nous rencontrons Hadj Mouloud Banouh, l’un des sages du village. Il nous parlera de l’origine du village Imesdourar et de son passé révolutionnaire, d’abord ombrageux et incompris, avant de devenir un lieu de transit pour les moudjahidine et un véritable village martyre. 
Ainsi, à ses débuts, vers les XVIe et XVIIe siècles notamment, il n’était pas à cet endroit. Le village, qui culmine à un peu plus de 1 000 mètres à l’intérieur du Parc national du Djurdjura (PND), était perché sur deux collines plus au nord, à savoir Taoukachth et Taguemount. 
Les populations vivaient au milieu des animaux dont le lion du Djurdjura, qui a disparu, selon les historiens, au début du siècle dernier. 
Ils ont vécu là jusqu’au début du XIXe siècle où, suite à l’épidémie du typhus, les deux hameaux ont été presque décimés. Les survivants, à peine une poignée entre femmes et hommes, ont quitté les lieux pour aller s’installer plus bas, dans des endroits habités. Arrivés aux environs du village Ath Hammad, ils ont été interpellés par le sage du village qui les a invités à rebrousser chemin, en les convainquant de s’établir dans les environs, mais plus au nord qu’au sud. 
Par cette suggestion, le sage des Ath Hammad voulait d’abord s’assurer une protection du côté nord. Effectivement, ces familles se sont installées non loin des Ath Hammad, mais pas pour longtemps, tant l’endroit était souvent attaqué par des tribus environnantes à la recherche de nourriture. Ce fut lors de l’une de ces attaques que les villageois ont dû quitter les lieux pour revenir un peu vers le nord, en s'établissant face au village actuel, au lieu-dit Sassenja ou Alma n’ wakli, sur une crête qui assure une certaine protection. Là aussi, ils ne tarderont pas à lever le camp pour rejoindre l'autre versant, c’est-à-dire l'endroit actuel pour l’accès facile vers les autres villages. Pour renforcer le village en effectifs afin de se défendre mieux contre les  agresseurs, les familles qui étaient là comme  Banouh, Addar, Aimène, etc., invitèrent toute famille passant par les lieux à la recherche d’un gîte ou d’une protection, que ce soit du côté de Igawawen de Tizi-Ouzou ou du Sahel ou des Ath Aissi, à s’y installer. Pour que ces familles s’installent définitivement, on marie les jeunes, filles et garçons, des familles hôtes avec celles et ceux du village, en leur offrant même des lopins de terre. C’est ainsi que le village d’Imesdourar devint l’un des plus peuplés du arch Imcheddalen. 
Durant la Seconde Guerre mondiale, beaucoup de jeunes du village ont été mobilisés par l’armée française, ce qui leur a permis de s’informer à propos de ce qui se passe dans le monde et la France coloniale. Le village a connu alors un éveil nationaliste en présence du PPA de Messali Hadj en force. 
Pendant la Révolution et jusqu’en 1956, le village était plutôt neutre ; cette position fut assimilée par le FLN/ALN à une trahison de la cause nationaliste, alors que c’était faux. Pendant les deux premières années, le village, considéré hostile à la Révolution, a vécu des accrochages maintes fois éclatés entre les moudjahidine de l'ALN et les villageois. Ce qui a entraîné la mort de nombre de ses valeureux enfants suite à cette incompréhension. Cependant, quelques mois plus tard, les moudjahidine se sont aperçus que cette position n’était pas contraire à l’ALN. En 1958, le village s’est enfin réconcilié avec les moudjahidine grâce aux efforts de médiation. Il sera par la suite un véritable refuge pour l’ALN et un pourvoyeur de fonds et de logistique. L’armée française, qui s’en est aperçue, a puni de la manière la plus féroce le village en  tuant des innocents, y compris les femmes. Cela étant, le village garde plusieurs hauts faits d'armes de combats héroïques à l'intérieur même du village, avec des morts du côté français. Au total, ce sont 64 chouhada qui sont tombés au champ d'honneur, un chiffre dont peu de villages peuvent s’enorgueillir.

L’exode rural ou comment le village se vida de ses enfants 
Après l'indépendance, le village commença à se vider peu à peu à cause des difficultés de la vie avec plusieurs mois de neige et d’isolement. A cela s’ajoute l’impossibilité d’assurer un transport régulier. Puis viendra le terrorisme qui achèvera le village,  un véritable coup de grâce : le village se videra presque complètement, hormis l’entêtement de certaines familles, dont la vocation de père en fils est l’élevage caprin ou bovin. Cela étant, pour protéger ces familles des incursions terroristes, les villageois prendront les armes pour s’autodéfendre. Parallèlement, un poste de la garde communale sera installé et fera face héroïquement aux attaques terroristes. Le village s'en sortira vainqueur puisqu’aucune attaque notoire n’est à déplorer. Cependant, à la fin de la décennie noire, le village n’a jamais pu se reconstruire, ni convaincre ceux qui étaient partis et ont goûté aux délices de la ville avec ses commodités d’y revenir.  En 2005, après les éboulements de rochers qui ont menacé le village, un groupe de jeunes a tenté de convaincre les autorités locales de la nécessité de déplacer le village vers l’est, au-dessus du village Illilten, loin des rochers le menaçant au quotidien,  mais l’opération s’est heurtée à l’inertie de la bureaucratie. De fait, le projet sera mis aux oubliettes et le village vit toujours sous la menace des chutes de rochers depuis le sommet du Djurdjura. 

Pour que le village reste toujours vivant 
Aujourd’hui, après bien des années d’attente et d’abandon, des jeunes ont décidé de ressusciter le village en ouvrant les voies obstruées et en élargissant d’autres. Cela s’est fait pour le moment avec l’apport de ses enfants dans un élan de solidarité ancestrale qui lui est propre, puisque, selon les gens de M’chedallah, les villageois d’Imesdourar sont connus par cet esprit de solidarité qui s'enclenche à chaque fois qu’une tempête de neige survient. 
Des enfants du village habitant dans la plaine, à M’chedallah, organisent immédiatement, et avant toute intervention des autorités, des caravanes et se dirigent vers le village en emportant toutes sortes de denrées alimentaires et autres produits de première nécessité, ainsi que les médicaments, des bonbonnes de gaz butane, etc. 
Aujourd’hui, par cette entreprise de réhabilitation, les villageois veulent aboutir, à terme, pourquoi pas, à un festival culturel estival afin de faire connaître le village et les produits de son terroir comme le lait de chèvre, la vannerie, les figues sèches, etc.. Les pouvoirs publics gagneraient à prêter main-forte à ce village ne serait-ce qu’en aidant certaines familles dont les habitations sont sérieusement menacées par les rochers, ainsi que le financement d’autres opérations, comme le captage des sources pour que l’eau du robinet soit disponible régulièrement, entre autres.  
Y. Y.


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