Abdelmoumen Khalifa accuse la «îssaba»



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Coup de théâtre en cette première journée du procès en appel de Abdelmoumen Khalifa, patron du groupe éponyme, devant le tribunal  criminel près la cour de Blida. Il dément tous les faits qui lui sont reprochés et accuse la «îssaba», représentée par «le Président déchu  et ses amis», d’avoir «monté de toutes pièces cette affaire». Il affirme que Mohamed Djellab, l’administrateur, a pris la décision de fermer  la banque sur instruction de la «îssaba», malgré les fonds laissés à la Banque d’Algérie, d’un montant de 90 milliards de dinars de dépôt  et 10 milliards de dinars de crédit.

Le procès Khalifa Bank s’est ouvert hier au tribunal criminel près la cour de Blida, pour la troisième fois, après la cassation par la Cour suprême du verdict prononcé en juin 2015, par la même juridiction.

De nombreux accusés et témoins sont absents à l’audience, alors que Abdelmoumen Khalifa, amaigri et ayant pris un coup de vieux, est seul dans le box des accusés.

En tout, 14 personnes sont appelées à comparaître, étant concernées par la cassation. Après la désignation des membres du jury et la lecture de l’arrêt de renvoi, la présidente appelle Abdelmoumen Khalifa, patron du groupe éponyme.

Il évoque son cursus et les conditions dans lesquelles il est passé du médicament, avec sa boîte KG-Pharma, à Khalifa Bank, puis à Khalifa Airways et les nombreuses filiales du groupe.

«En 1994, l’Algérie était sous embargo, les compagnies étrangères de transport aérien ne desservaient plus le pays. J’ai pensé investir dans le domaine, surtout que j’avais à l’époque tout un réseau d’agences de la banque et que les autorités encourageaient l’investissement», déclare Khalifa, qui explique avoir été «démis de ses fonctions de PDG le 25 février 2003». La présidente entre dans le vif du sujet et l’interroge sur les 11 Etats en suspens (EES) injustifiés ayant permis les retraits de fonds de la caisse principale.

L’accusé nie catégoriquement. «Ce n’est pas possible. Ces états sont fictifs. Comment peuvent-ils comptabiliser une monnaie étrangère qui n’existait plus depuis quelques années ? Ils ont monté une histoire», répond-il.

La juge : «Qui visez-vous ?» L’accusé : «Le pouvoir qui était en place à cette époque, dont certains membres agissaient comme une îssaba. Ils ont monté un scénario…» La juge : «Djellab, qui était administrateur, a trouvé des documents et fait état d’un trou financier à la caisse principale de Chéraga.»

L’ accusé : «Il n’est même pas assermenté et n’est pas habilité à faire ce genre d’enquête. Tout le monde sait que ce n’est pas la Banque d’Algérie qui a pris la décision d’arrêter la banque. La décision a été prise à l’issue d’une réunion entre le Président déchu et certains responsables. Même celle d’installer un liquidateur a été prise par le Président déchu et le Premier ministre de l’époque. Ce n’est ni la Banque d’Algérie ni la justice.»

La magistrate cite une liste de directeurs d’agence de Khalifa Bank, qui avaient déclaré avoir remis des fonds sur simple bout de papier sur instruction du PDG, et ce dernier déclare : «L’enquête a été faite sous la pression et dans des conditions horribles.»

La magistrate insiste, mais lui ne cesse de répéter que «l’agence de Chéraga n’a enregistré aucun déficit, à part celui de 10 000 DA. Comment peut-on parler de trou financier ? Ceux qui ont fait l’enquête pensaient que la caisse principale était dépendante de la caisse de l’agence. L’enquête de la Banque d’Algérie a fait état d’une somme de 90 milliards de dinars en dépôt et une autre de 10 milliards de dinars en crédit dans les caisses. Où est donc le déficit ?»

«Nous avons vécu un drame»

La présidente interroge Khalifa sur l’acquisition d’une banque allemande. «A l’époque, nous voulions avoir une banque à l’étranger pour éviter de dépendre d’autres étrangères. En France, on nous a refusé, nous avons acquis une banque qui avait une autorisation européenne pour éviter les tracasseries bureaucratiques. Mais les problèmes sont apparus et existent d’ailleurs à ce jour.»

La présidente : «La Conservation foncière de Chéraga a affirmé que les actes d’une villa et d’un commerce, présentés comme hypothèque de garantie, sont faux. Quelle est votre explication ?»

L’accusé : «Je n’en suis pas le bénéficiaire. Il est bien dit qu’il s’agit d’un grossiste de matériaux de construction. Donc, c’est un faux, et je ne sais pas comment il a été mis dans le dossier. Aucun membre de ma famille n’a signé et n’est au courant.»

La juge : «L’enquête a montré que vous aviez obtenu l’acte constitutif de la banque alors que vous n’aviez déposé que la somme de 37,5 millions de dinars, sans le montant principal.» L’accusé nie, pointe du doigt l’enquête et précise que lors du dernier procès, «il a été prouvé que le fond principal a été déposé».

La présidente revient sur les aveux des directeurs des agences sur les retraits de fonds par l’accusé, et ce dernier dément catégoriquement et se demande «pourquoi il n’y a pas eu d’enquête plus approfondie». Il ne cesse de remettre en cause les missions de contrôle et les enquêtes qui, d’après lui, n’étaient pas légales.

«Il y a eu dix inspections de la Banque d’Algérie faisant état de réserves et de quelques irrégularités auxquelles nous avions répondu. Nous avions pris des mesures de mise en conformité. Mais dans les rapports, celles-ci sont occultées.»

La juge : «Comment expliquez-vous que les crédits accordés étaient plus importants que les fonds propres ?»

L’accusé : «Cela peut arriver. Nous avons revu à la hausse les fonds propres et tout est rentré dans l’ordre.»

La magistrate évoque «l’absence de fiabilité des informations comptables» et l’accusé répond : «Ce sont eux qui disent cela…», mais la juge le confronte au rapport de la commission bancaire. «C’est normal. L’inspection met toujours les banques sous stress. Ce sont des mesures ordinaires. Tous les griefs relevés ont été corrigés. Mais nos réponses sont absentes du dossier. C’est une îssaba qui agit en tant que telle.»

La présidente : «L’inspection a relevé de nombreuses irrégularités, comme l’absence de registres, de paiement de factures, etc.» L’accusé continue à nier.

A propos des opérations de transfert de fonds vers l’étranger, pour l’achat des unités de dessalement, l’accusé affirme qu’il s’agit d’une procédure tout à fait légale, pour laquelle une enquête judiciaire a été ouverte en France, et qui s’est terminée par sa relaxe.

Il dément avoir fait bénéficier ses déposants de taux d’intérêt assez élevés et explique à propos des fonds des OPGI (Office de promotion et de gestion immobilières) : «Les responsables ont été intéressés par la facilité de la procédure et les avantages qu’elle offre à tous les clients.»

La juge : «Vous accordiez des privilèges aux responsables en contrepartie de ces dépôts…» L’accusé : «Ce n’est pas vrai.» Mais la magistrate lui rappelle : «Vous aviez accordé 4 millions de dinars au directeur général de l’OPGI de Bordj Bou Arréridj.» Khalifa dément et mais la juge persiste à vouloir avoir des réponses à propos des fonds sortis de la caisse principale.

L’accusé : «La question doit être posée à ceux qui les ont trouvés. Jusqu’en 2003, la banque n’avait aucun problème jusqu’à ce que je sois écarté, remplacé par Djellab et la banque fermée. J’ai laissé 90 milliards de dinars et Djellab a dit aux responsables de la fermer. Il faut revenir au contexte de l’époque pour comprendre ce qui s’est passé.

Nous avons vécu un drame. Les enquêtes menées en Grande-Bretagne et en France n’ont abouti à rien. Il n’y a aucune escroquerie. Djellab a créé une histoire et il en a été remercié en étant nommé ministre. La décision de m’écarter a été prise lors de cette réunion qui a regroupé le Président déchu et ses amis.»

«Ils voulaient des noms de personnalités»

La présidente revient sur la question du sponsoring et l’accusé affirme avoir créé une caisse d’un montant de 300 millions de dinars pour aider les footballeurs des Divisions 1 et 2 du championnat, à travers un salaire de 35 000 DA pour chacun des joueurs.

Le procureur général revient sur le capital de la banque qui n’a pas été déposé intégralement et Khalifa conteste.

Pour lui, il y a eu «une confusion» entre les chèques retrouvés au bureau du notaire, et qui concernent les filiales, et les montants liés au capital, «qui a été totalement libéré».

Il persiste à déclarer que les actes d’hypothèque étaient des faux et le magistrat réplique : «Pourquoi n’avez-vous pas demandé une expertise ?» L’accusé : «J’étais aux Etats-Unis.»

Le magistrat : «Vous êtes parti au moment où l’enquête a été engagée après l’interdiction du commerce extérieur…»

Khalifa : «Le 25 novembre 2002, lorsqu’ils ont interdit le commerce extérieur, c’était pour n’avoir pas augmenté le capital. J’ai régularisé la situation, mais cela n’a pas eu de suite. Quand je me suis rendu en Grande-Bretagne, ils m’ont assigné à résidence.»

Le magistrat : «Demandiez-vous des fonds à vos agences, comme l’ont affirmé les responsables ?» L’accusé : «Jamais !» Le magistrat : «Ce sont les directeurs de ces agences qui l’affirment.»

L’accusé : «Ils sont revenus sur leurs propos ici même. J’étais PDG, je pouvais m’approvisionner même à la Banque d’Algérie, où j’avais 90 milliards de dinars de dépôt. Pourquoi irai-je voir les agences ?» Khalifa ne cesse d’accuser la «îssaba» de l’avoir écarté pour «fermer la banque». Et de lancer : «Quand on invente une histoire, au moins on fait en sorte qu’elle soit réelle.»

Il cède sa place à Abdelhafid Chachoua, son ancien chef de sécurité et de convoyage de fonds. Il revient sur tous ses propos devant le juge et devant la même juridiction en accusant la police judiciaire d’avoir fait pression sur lui pour qu’il implique des personnalités dans le dossier.

La présidente le confronte à ses déclarations sur procès-verbal, selon lesquelles Abdelmoumen Khalifa lui demandait d’aller récupérer des sommes allant de 3 à 10 millions de dinars de la caisse principale, auprès de Akli Youcef, le caissier, sans aucun document. «Je n’ai aucun contact avec le caissier. Je ne fais qu’envoyer l’équipe, qui elle est déjà informée, pour récupérer le colis. Je n’ai pas le droit de savoir ce que ce dernier contient, ni de poser des questions.»

La magistrate insiste et l’accusé répond : «J’ai subi une pression terrible que je n’avais jamais vécue, même au temps du terrorisme. Je ne vise pas une institution, mais des personnes. Des gendarmes voulaient que je leur donne des noms, notamment de personnalités.»

L’accusé nie tous les faits et dément même les propos qu’il a lui-même tenus devant la même juridiction en 2007 et en 2015, lors des deux précédents procès. Le procès se poursuivra aujourd’hui avec l’audition d’autres accusés.

Khalifa Bank liquidation privée de son statut de partie civile

Le procès Khalifa Bank s’est ouvert hier au tribunal criminel près la cour de Blida, avec un peu plus d’une dizaine d’accusés, contre lesquels, le parquet général a fait cassation, après le verdict en appel prononcé le 15 juin 2015 par la même juridiction.

La grande surprise est le refus par la Cour suprême de la constitution de Khalifa Bank liquidation en tant que partie civile, mais aussi les déclarations surprenantes de Abdelmoumen Khalifa et Abdelhafid Chachoua, son chargé de la sécurité.

En effet, Abdelmoumen a mis tout sur le dos de la «îssaba», désignée par «le Président déchu et ses amis», avant de se déclarer «serein dans cette Algérie nouvelle».

Les mêmes propos sont tenus par Chachoua, qui avait surpris le tribunal criminel lors des deux premiers procès en faisant des révélations fracassantes sur les fonds qu’il convoyait au profit de son patron, après les avoir reçus de la main du caissier principal, Akli Youcef.

Pour son premier jour, le procès Khalifa Bank, qui se déroule en présence d’un dispositif sécuritaire impressionnant, mais dans une salle presque vide, où les journalistes ont été interdits d’utiliser les PC, un moyen de travail, a été vidé de toute sa substance. S. T.


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