Salim Dada. Compositeur, musicologue et expert culturel et point focal de l’Unesco en Algérie à la Convention 2005 entre 2019-2020

«Les encombres de la formation artistique inhibent la professionnalisation culturelle»



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Dans cet entretien, le compositeur, musicologue et musicien poly-instrumentiste Salim Dada ne nous parlera pas avec passion de musique mais reviendra essentiellement sur le 1er rapport périodique quatriennal de l’Algérie sur la mise en œuvre de la Convention 2005 qu’il a eu l’honneur de rédiger et déposer statutairement au nom du ministère de la Culture et des Arts.

Propos recueillis par  Nacima Chabani

 

-Vous avez eu la lourde tâche d’être le coordinateur et le rédacteur du 1er Rapport périodique de l’Algérie sur la mise en œuvre de la «Convention 2005» de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Pouvez-vous revenir sur les spécificités de cette convention ?

Bien évidemment ! La Convention 2005 est la dernière des conventions culturelles de l’Unesco, elle reconnaît la nature spécifique de la culture comme un facteur important de développement économique et social et assure aux artistes, aux professionnels de la culture, aux praticiens et aux citoyens du monde entier la possibilité de créer, produire, distribuer/diffuser et jouir d’un large éventail d’activités, de biens et services culturels, y compris les leurs. La Convention 2005 vise donc de protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles, et ce, à travers la création des conditions permettant aux cultures de s’épanouir et d’interagir librement de manière à s’enrichir mutuellement ; l’encouragement du dialogue entre les cultures et l’assurance des échanges culturels plus intenses et équilibrés dans le monde en faveur du respect interculturel et d’une culture de la paix, le tout, dans l’esprit de bâtir des passerelles entre les peuples et stimuler l’interculturalité et le développement de l’interaction culturelle. Basée sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales, la Convention de 2005 fournit en fin de compte un nouveau cadre pour des systèmes de gouvernance de la culture informés, transparents et participatifs.

L’Algérie a ratifié la Convention 2005 le 26 février 2015, dix ans après son adoption par les parties de l’Unesco. Le partage de l’information et la transparence sont au cœur de la Convention. En effet, les pays s’engagent à remettre tous les quatre ans leurs «Rapports périodiques quadriennaux (RPQ)» concernant les politiques et les mesures qu’ils ont adoptées et les défis rencontrés lors de la mise en œuvre de la Convention. C’est l’objet de ce 1er RPQ de l’Algérie sur la mise en œuvre de la Convention 2005 que j’ai eu l’honneur de rédiger et déposer statutairement au nom du ministère de la Culture et des Arts ayant travaillé et coordonné pendant plus d’une année avec les cadres du ministère, des représentants d’autres secteurs, des organisations de la société civile et des professionnels de la culture, et ce, en ma qualité de président du Conseil national des arts et des lettres, puis de secrétaire d’Etat chargé de la production culturelle, avant d’accomplir cette mission en tant qu’expert national suite au remaniement gouvernemental du 23 juin dernier.

-Une évaluation est faite tous les quatre ans à travers la rédaction d’un premier rapport périodique (RPQ). Quel est le contenu de ce rapport de 160 pages, déposé officiellement en novembre dernier, ciblant la période de 2015 à 2020 ?

Les RPQ représentent des instruments-clés permettant à la société civile de collaborer avec les représentants gouvernementaux à l’évaluation des progrès réalisés en termes de protection et de promotion de la diversité des expressions culturelles. Notre Rapport national consiste en un état des lieux objectif et non exhaustif des politiques culturelles et acquis réels mettant en œuvre la «Convention 2005» et observées en Algérie particulièrement durant la période sus-indiquée. Techniquement parlant, le rapport comprend, en plus d’un aperçu du contexte des politiques culturelles en Algérie entre 2000 et 2020, l’analyse de la mise en œuvre de la Convention dans le terrain algérien à travers six chapitres : Le soutien des systèmes de gouvernance durables de la culture ; L’échange de biens et services culturels et mobilité́ des artistes et des professionnels de la culture ; La culture et développement durable ; Les droits de l’homme et libertés fondamentales ; Les mesures et initiatives autonomes des organisations de la société civile ; et enfin, le méga-événement transversal et émergent «Constantine 2015 : Capitale de la culture arabe». Je termine le rapport avec un chapitre dédié aux résultats, défis et prochaines étapes avec une série de recommandations et d’idées pratiques avant de clôturer par des documents et de données annexes contextuelles et ajournées. Les actions et mesures institutionnelles ainsi que les initiatives civiles et autonomes présentées dans ce rapport ont été consciencieusement étudiées et impartialement choisies avec l’experte internationale allemande Christine M. Merkel qui nous a accompagnés dans ce procès, les membres de l’équipe nationale, le comité restreint et les experts de l’Unesco de Paris et du Maghreb, de par leur qualité, importance, pertinence, pragmatisme, inventivité, pérennité, et impact national et international. Ce sont des exemples qu’on estime méritant d’être étudiés dans le processus d’élaboration du prochain «Rapport mondial 2022» de la Convention 2005.

-Le 1er rapport pour la «Convention de 2005» de l’Unesco, qui a vu la participation de certains ministères stratégiques, permettra à coup sûr d’avoir une meilleure visibilité du statut de l’artiste…

Exactement ! Plusieurs parties dans ce rapport ont été consacrées à la situation de l’artiste en Algérie, des textes juridiques, aux acquis sociaux, aux droits des artistes et des auteurs, aux exonérations d’impôts et avantages fiscaux. La création du Conseil national des arts et des lettres en 2011 a évidemment aidé à l’amélioration de la condition socio-professionnelle de l’artiste à travers la réflexion, le recensement et les droits sociaux octroyés à la «Carte d’artiste». Or, les encombres liés à la formation artistique, à la reconnaissance des métiers artistiques et du statut juridique des artistes et des techniciens, persistent encore et inhibent l’épanouissement et la professionnalisation de ces acteurs culturels. On a aujourd’hui près de 11 000 artistes encartés par le CNAL depuis 2014, dont seulement 9% de la gent féminine et moins d’un quart de ces artistes exercent l’art comme métier principal. L’ONDA, quant à lui, en compte quelques 18 000 adhérents entre auteurs et artistes interprètes. Mais le nombre des artistes est encore plus grand étant donné que la majeure partie n’est pas visible et l’institution culturelle n’étant tout simplement pas déclarée ou exerçant le métier d’art sous la coupe du ministère du Tourisme et de l’Artisanat en possédant la «Carte d’artisan». C’est le cas d’une grande partie des artistes visuels (peintres, calligraphes, photographes, décorateurs…).

La promulgation d’un texte de loi, cadre propre à la condition socio-professionnelle de l’artiste, devrait combler un certain vide et réunir tous les textes juridiques existants afin d’améliorer, régulariser et statuer l’artiste, son métier et ses relations de travail. Pareil pour l’ordonnance 03-05 relative aux droits d’auteur et droits voisins qui doit impérativement être mise à jour face à l’évolution technologique et numérique des moyens de reproduction, distribution, location, mise à disposition et d’exploitions digitale/internet des contenus artistiques et créatifs. Une telle démarche juridique n’est pas l’apanage exclusif du ministère de la Culture, mais ça impliquerait également le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, le ministère des Finances, avant que ces textes ne soient adoptés par le gouvernement, le Conseil des ministres et le Parlement.
Le Rapport en question, ayant nécessité quatorze mois de travail, est une sorte de bilan qui a permis de faire un état des lieux objectifs en Algérie.

-Quels sont les points positifs ou encore négatifs à retenir de ce rapport ?

Effectivement, il s’agit d’un état des lieux assez complet des politiques culturelles en Algérie en termes de diversité d’expressions culturelles et qui serait impossible de résumer en quelques lignes. Cependant, je peux affirmer que le Rapport s’attarde sur les questions requérantes et relatives au soutien de l’Etat à la culture, à la formation artistique, à l’amélioration de la condition des artistes et des acteurs culturels, à la labellisation des événements culturels, à la libération des initiatives culturelles et artistiques, aux retombées financières et socioéconomiques de la culture, au rôle de la société civile et des indépendants, ces questions et d’autres ont été abordées sur plusieurs angles mettant en valeur les acquis et les réalisations, tout en signalant les défaillances et en recommandant des solutions d’amélioration et d’optimisation des différentes mesures identifiées. Je dois dire aussi que l’exercice de rédaction nous a permis d’identifier plusieurs lacunes et difficultés rencontrées, notamment au cours de la collecte des informations.

Le manque de statistiques spécifiques à la culture, l’incohérence de données entre les différentes sources, le non-ajournement des informations ainsi que l’insuffisance d’écrits scientifiques ou de contributions académiques sur la Convention 2005 dans le contexte algérien, tout cela a rendu difficile, voire complexe, le travail de recoupement et de vérification. On ne peut imaginer un essor culturel en Algérie ayant des répercussions économiques, financières, professionnelles, sociétales et environnementales, sans combler ces lacunes. Une veille statistique nationale destinée à la culture est indispensable aujourd’hui. A cet égard, le rôle de l’Office national des statistiques (ONS), ainsi que celui du Centre national économique et social (CNES), est essentiel en s’engageant dans la réflexion, l’analyse et la prospection du fait culturel du pays. Des données relatives à l’emploi des artistes, à la participation culturelle, aux professions de la culture, à la répartition des genres ou à la valeur économique de la culture, à l’investissement, aux retombées financières, doivent faire à l’avenir partie des données collectées de façon périodique et communiquées de manière transparente aux publics intéressés.

-Quelles prochaines étapes pour vous ?

A partir du moment où le Rapport a été rédigé et déposé officiellement, ma mission avec le RPQ de l’Algérie prend fin. Désormais, c’est aux instances concernées de faire part des conclusions et des recommandations incluses dans ce Rapport. Cela dit, je reste ouvert à toutes les autres collaborations en termes d’expertise ou de mise en valeur du contenu de ce document inédit. Quant à ma collaboration avec l’Unesco, elle se poursuivra puisqu’on m’a proposé de chapeauter et d’accompagner en tant qu’expert international, cette fois-ci, le processus de rédaction du 1er RPQ de la Mauritanie, chose que j’ai acceptée volontiers. C’est une marque de confiance de la part de l’organisation internationale et une reconnaissance de la qualité et la rigueur du travail qu’on a effectué ici en Algérie. C’est également l’occasion pour moi de partager l’expérience algérienne et me rapprocher de la richesse et la diversité culturelle d’un pays voisin et maghrébin, la Mauritanie.


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