Nouvel An

vœux pieux ou sincères aveux ?



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La tentation est grande de récidiver en faisant cette année encore un pied-de-nez au formalisme des vœux. Qualifiés d’ailleurs de pieux par ceux qui savent de quoi il en retourne lorsqu’il s’agit surtout d’allocutions officielles, ils n’engagent en rien ceux qui les formulent en faisant croire à leurs auditoires que leurs souhaits sont frappés du sceau de la sincérité. Mais comme le calendrier des cérémonies de ce genre est suffisamment fourni, l’on suppose que le petit peuple a déjà appris à ne pas croire en les engagements occasionnels de leurs dirigeants. Une défiance qui n’avait fait que s’amplifier à mesure que les années passent et leurs échecs avec, au point de déniaiser collectivement des populations ayant vite compris qu’elles pouvaient se passer des contorsions démagogiques de leurs gouvernants englués dans les ridicules roueries de politiciens.
C’est précisément ici que réside désormais la singulière absence de regrets chez le citoyen lambda quand, à l’ultime minute de tous les 31 décembre, celui-ci efface d’un trait cette montagne des mauvais jours. Il est vrai que les pays calamiteux n’ont que faire de la nostalgie de ce qui ne sera plus. En somme, faire en sorte que l’amnésie ne soit plus une tare et devienne au contraire un atout pour gommer les malfaisances de l’année écoulée. 
Mais alors comment s’y prendra-t-on pour que le premier lendemain de l’an neuf (ce samedi 2 janvier 2021) se présente différemment du dernier jour de la défunte année ? Croire stupidement en les fameux vœux de ces nouveaux dirigeants ou, au contraire, les interpeller en leur rappelant les promesses de l’an 19 lorsqu’ils furent investis de grandes responsabilités au nom d’une improbable «nouvelle Algérie» ? C’est de cela qu’il est nécessaire de se remémorer malgré le dramatique coup d’arrêt intervenu à la mi-octobre et dont les conséquences sont certainement importantes à la suite de l’absence du Président. 
C’est dire que la brève rétrospective concernant les intentions du nouveau chef de l’État ne pourra être entamée qu’à partir de son investiture. En se présentant sous les augures d’un Président qui «veut faire ce qu’il dit (sic)», il lui était arrivé d’évoquer, au cours de la morose campagne électorale, la nécessité d’aller vers une «nouvelle République». Or, cette revendication cardinale dont les droits d’auteur appartiennent exclusivement au mouvement du 22 Février ne fut-elle pas écartée à la fois par l’armée et les «néo-théoriciens d’El-Mouradia» au prétexte qu’elle constituait un «saut dans l’inconnu» tout en suggérant que la seule alternative fiable pour mettre un terme à la vacance du pouvoir passe par l’élection d’un nouveau Président ? Ce à quoi le candidat Tebboune y accéda ! 
Une promotion qui, étonnamment, l’avait mis en porte-à-faux avec ce qu’il avait qualifié d’«intime conviction» lors de ses meetings. De l’homme politique indépendant en apparence et réfractaire aux mots d’ordre contraires à une Constituante, le voilà candidat docile. Celui qui devait faire la preuve qu’il est capable par lui-même de reconstruire consensuellement l’État algérien en mettant fin au poison des faux-fuyants à l’origine de toutes les manœuvres de ses prédécesseurs.
C’est que, depuis 1988 et les amendements que le 5 Octobre imposa à la Constitution de l’époque, il ne se trouva aucun des pouvoirs qui ne fit usage de certains procédés captieux afin qu’eux-mêmes puissent renforcer leur autorité. D’où la nécessité de parier sur la nouvelle présidence pour dessiner les contours de cette «nouvelle Algérie» en rétropédalant au sujet du maintien de la prééminence outrancière de l’exécutif au détriment des institutions législatives et judiciaires.
D’ailleurs, pour l’opinion et son électorat, si l’abstentionnisme avait pris par deux fois (12 novembre 2019 et 1er novembre 2020), les dimensions du boycott, c’est pour la seule et même raison. Car, face à un ressentiment régulièrement traduit par la société, l’on n’a pas encore perçu le moindre signal de bonne volonté et de compréhension en direction de la nouvelle scène politique dont le Hirak fut le révélateur. Bien au contraire, l’appareil d’État avait été enclin d’aggraver les malentendus politiques en les transformant stupidement en casus belli traquant toute parole contestataire. Comme un coup de grâce porté à la résistance sociale de l’année 2019, le régime actuel ne trouva rien d’autre à faire que de judiciariser le moindre «discours suspicieux» aux yeux des autorités.
Autre sujet de déception : son art d’être à l’écoute du peuple. Ainsi, la société dont il avait admis pour une fois qu’elle ne se réduisait pas aux bruissements des rumeurs préjudiciables à l’image de l’État, ne se fait pas elle aussi d’illusoires probabilités quant à la nature de la sollicitude qu’il prétend entretenir dans sa direction. Enfin, dans la somme colossale des erreurs du passé que le régime actuel reconduisit, il y a, entre autres, le recours à la répression des cortèges des jeunes et leur incarcération en ayant la certitude qu’il n’existe guère de bonne méthode pour gérer la République que «la peur du gendarme» ! Un drôle de fantasme éculé et de moins en moins pris en compte par les nouvelles générations. Autrement dit, qu’elles soient triomphales ou non, les élections n’éteignent que rarement les colères sourdes des populations. C’est pourquoi, lorsqu’un Président est investi au nom du peuple, il doit être inspiré en privilégiant les «aveux» en de pareilles circonstances.
Ce sera un repentir mieux reçu par une communauté meurtrie par tant de misères morales. Bref, l’unique quart d’heure de sérénité après une année de cauchemar.
B. H.


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