«Trumpistes»

expressions de la révolte d’une jeunesse mondialisée



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Par Zoubir Zemzoum
Dans de nombreux pays des deux mondes, du Nord et du Sud, les jeunesses se mobilisent et manifestent leurs mécontentements contre des gouvernants qui démontrent, chaque jour, leur  incapacité  à répondre à leurs multiples besoins d’ordre matériel et immatériel.

La fronde de cette jeunesse mondialisée trouve toutes les justifications dans l’hostilité qu’elle porte à des dirigeants qui, indépendamment de leurs appartenances idéologiques et politiques, ne donnent pas l’impression d’être à l’écoute de ses aspirations d’ordre politique, économique, social et sociétal. En vérité, les véritables raisons de l’autisme de certains dirigeants et l’aveuglement des autres sont à rechercher dans les relations ambiguës que ces derniers entretiennent avec la société en comparaison avec  celles qu’ils tissent avec les multinationales qui gouvernent le monde. Elles résident, aussi, nous semble-t-il, dans la nature même du régime politique engendré par la mondialisation d’un capitalisme ultralibéral dont les retombées négatives, de son modèle de développement, économique, social et sociétal, portent préjudice à sa souveraineté, à celle de l’État-nation, et contredisent, de ce fait, ses aspirations à la liberté, à la justice au progrès, à la paix et à la sécurité .

Jeunesse d’hier et d’aujourd’hui
Un bref regard historique sur le développement et l’évolution des jeunesses des deux mondes nous permettra de retracer les différentes étapes d’émancipation des unes et des autres, grâce aux luttes engagées hier et menées aujourd’hui par toutes les jeunesses du monde contre toutes les formes d’arbitraire et d’aliénation qu’elles avaient subies et quelles subissent encore de nos jours.
Après les grandes crises politique, économique et sociale engendrées par le développement du capitalisme, ponctuées par les deux conflagrations mondiales, le citoyen occidental, épuisé physiquement et moralement par l’horreur des deux Guerres mondiales, les plus meurtrières, les plus destructrices et les plus ruineuses pour les nations impliquées dans ces conflits, le citoyen occidental, de cette époque, avait pour seule préoccupation, survivre à un tel cataclysme. Le difficile quotidien ne lui laissait, hélas, en ces temps difficiles, que peu de place à la réflexion sur le pourquoi de cette tragédie, et encore moins sur le comment faire et agir afin de ne plus revivre de tels drames.
La guerre froide attisée par les antagonismes idéologiques, d’après-guerre, la rivalité de puissance survenue entre les blocs de l’Est et de l’Ouest et la perspective d’une troisième guerre mondiale ne pouvaient qu’enfermer ce citoyen dans un existentialisme anesthésiant, hermétique à toute ouverture d’esprit qui puisse briser le carcan de «la pensée unique» dominante dans les deux camps et penser à une possible alternative à cette rivalité entre puissances des deux blocs, dangereuse pour le monde et l’humanité, et entrevoir une autre possibilité de concevoir le monde et les relations internationales de demain.
Malgré les progrès considérables dont il a bénéficié aux plans matériel et immatériel, le citoyen occidental n’a pu sortir réellement de sa léthargie intellectuelle que lorsqu’il a commencé à s’interroger, grâce à l’apport des nouvelles techniques de la communication et du savoir, sur le brusque réveil des peuples colonisés, sur les raisons de leurs luttes de libération nationale et les nouvelles idées prônées par les leaders du tiers-monde relatives à l’instauration d’un nouvel ordre mondial basé sur le respect de la souveraineté des nations, sur la liberté et le progrès, la justice, la solidarité , la paix et la sécurité pour tous les peuples de notre monde.
C’est ce réveil des peuples du Sud, leurs luttes contre l’oppression et la domination des puissances colonialistes et impérialistes qui régentaient le monde et leur volonté de s’émanciper politiquement, économiquement, socialement et culturellement de ce joug qui ont sorti de sa torpeur, politique et intellectuelle, le citoyen occidental.
L’amorce du désarmement engagé par les accords américano-soviétiques, dans une période de croissance économique et d’un certain bien-être social, a fait naître chez le citoyen occidental et celui, aussi, des pays en voie de développement l’espoir d’un nouveau monde de paix plus prospère, plus juste et plus solidaire. Cet espoir a été galvanisé, au lendemain de la chute du Mur de Berlin, par la fin de la guerre froide. 
Libéré de la hantise d’une troisième guerre mondiale, de la peur d’un futur apocalyptique, rassuré par ses avancées politique et sociale, le citoyen occidental et celui aussi du tiers-monde pouvaient croire aux progrès d’une mondialisation, pensaient-ils, avantageusement prometteuse pour toute l’humanité. Cet espoir a été conforté par les bienfaits du développement fulgurant de l’information, de la communication et du savoir que le monde a connus durant cette période de paix et de développement économique, dite «des Trois Glorieuses». Les premiers résultats encourageants engendrés par l’émergence d’une gigantesque industrie multimédia et ses retombées positives, à la fois économique, sociale et sociétale, ont fait croire au citoyen du monde qu’une nouvelle ère de prospérité et de bien-être allait s’ouvrir pour l’humanité.
La globalisation de l’économie, du marché et du capital qui s’ensuivit avait ouvert la voie à l’émergence d’un nouveau type de société de consommation : la société de l’information et du savoir. Aujourd’hui, c’est grâce à cette avancée mondiale des moyens de communication, d’information et du savoir que le citoyen du monde, du Nord comme du Sud, circule aisément sur les nouvelles autoroutes de la communication. Devant l’écran de son téléviseur et de son ordinateur, le citoyen du monde reçoit, sans interruption, des flots d’informations, d’images et de sons qui lui rendent compte, quotidiennement, des faits qui agitent le monde et l’humanité.
Mais, voilà, les nouvelles qui lui parviennent des quatre coins de la planète ne sont pas des plus lénifiantes. Il  assistent, chaque jour, devant son téléviseur  ou sur l’écran de son ordinateur  au naufrage de l’humanité provoqué par les tenants du capitalisme mondialisé, par les multinationales, leurs managers économiques, leurs technocrates et leurs assistants politiques. Tout cela au nom de la liberté, de la démocratie et du progrès. Il  enregistre, en permanence, dans l’impuissance, l’effritement des valeurs et des idéaux énoncés dans le discours des capitalistes, depuis le XIXe siècle, les illusions entretenues par les avancées matérielles et immatérielles du modèle politique, du productivisme économique et des finalités sociales et sociétales énoncées dans leur projet de société.
La pratique de l’esclavage des populations de couleur, la colonisation de la majorité des pays des cinq continents, le pillage de leurs richesses, l’exploitation et l’aliénation de leurs peuples, les génocides et les crimes contre l’humanité, commis par leurs soldatesques, tels sont, en vérité, les valeurs et les idéaux sur lesquels ils ont bâti leurs puissances, institué leurs démocraties et assuré le bien-être de leurs populations. Ce sont, également, les multiples et incessantes crises et dérives générées par le productivisme effréné de leurs modèles capitalistes qui ont servi de détonateur au déclenchement  des guerres mondiales qui ont saigné l’humanité, anéanti bien des nations. C’est, surtout, la répétitivité des crises et des  dérives de la mondialisation de ce capitalisme débridé, de ses menaces contre la paix et la sécurité du monde qui est dénoncée à présent par la jeunesse mondialisée. 
Lorsque le citoyen occidental a fini par comprendre que c’est avec ces agrégats et ce tout-venant souillés par le sang des peuples opprimés et pollués par les déchets du productivisme de modèle de développement, que les hérauts du capitalisme, après avoir détourné de son cours originel la révolution des peuples contre la monarchie, que c’est avec ces matériaux qu’ils ont bâti la maison républicaine qui les abrite, qu’ils ont meublé leurs démocraties, ce citoyen, conscient plus que jamais de cette réalité, se révolta et prit la résolution de dénoncer l’allégeance de ses gouvernants au diktat des multinationales.
Le fossé profond qui existait, par le passé, entre la jeunesse des pays développés et celle des pays en voie de développement, creusé par la colonisation et approfondi par le comportement impérialiste des dirigeants occidentaux vis-à-vis des pays du tiers- monde, ce fossé a commencé à se combler avec la solidarité apportée par la jeunesse occidentale progressiste aux peuples colonisés qui luttaient pour leur libération et l’indépendance de leurs États.
Après la libération des nations et des peuples du Sud de la colonisation et l’émancipation des jeunesses du Sud qui s’en est suivie, les liens de la jeunesse des deux mondes qui commençaient à se nouer se sont approfondis avec les luttes communes engagées contre les tenants de la mondialisation, pour dénoncer les retombées négatives des crises politiques, économiques, sociales et sociétales qui portaient préjudice à la souveraineté de leurs États, à celle de leurs peuples, qui remettaient en cause les acquis sociaux arrachés de haute lutte  par leurs aînées au prix et aux sacrifices que l’on connaît. 
La lutte engagée par ces jeunesses, à l’échelle nationale et mondiale, a contribué à forger une prise de conscience collective, qui s’affirme, désormais, comme le dénominateur commun à partir duquel il est devenu possible à ces jeunesses du Nord et du Sud de consolider cette solidarité forgée sur le terrain de la lutte engagée pour changer l’ordre national et mondial établi par les multinationales qui gouvernent réellement le monde, les tenants d’un capitalisme ultralibéral qui démontre, chaque jour, par les méfaits de son hégémonisme idéologique et politique, par son productivisme économique effréné, par sa finalité sociale et sa trajectoire sociétale, son incompatibilité avec une société qui se mondialise, qui démontre en permanence sa solidarité lors des grands cataclysmes qui ont frappé le monde et l’humanité, qui milite pour l’instauration d’un nouvel ordre national et mondial répondant aux principes et aux idéaux énoncés dans son discours, à ses nouvelles aspirations matérielles et immatérielles.
Les récents assauts menés par les jeunesses occidentales contre les «Élysées et Capitoles», citadelles, forteresses, de la maison républicaine occidentale, et celles engagées par les «Hiraks» dans «les places Tahrir», ont lézardé profondément ses assises institutionnelles. 
Cet ébranlement de la bâtisse républicaine n’annonce-t-il pas l’inéluctable écroulement de sa démocratie ?
Ce dont on est sûr, actuellement, c’est qu’ils représentent la volonté d’une société déterminée à se battre pour reconquérir sa souveraineté et changer l’ordre établi par les tenants d’un capitalisme mondialisé, un capitalisme en folie, dont la déraison tend à remettre en cause ses conquêtes matérielles et immatérielles, une jeunesse mondialisée qui veut reconquérir sa souveraineté aux plans national et international pour réactualiser les principes et les idéaux portés par l’humanisme des premières  révolutions entreprises par les peuples contre la monarchie de l’ancien temps.
C’est, en fin de compte, l’interprétation du rejet de tout le passé funeste d’une démocratie ensanglantée et entachée par tous les méfaits de son règne colonial, les injustices générées par le projet de société de son capitalisme mondialisé, l’affirmation de la prise de conscience du citoyen, d’une société mondialisée, dont les principes, les idéaux et les aspirations contredisent celles fondées sur l’usurpation des révolutions du peuple, par la bourgeoisie et les bolcheviks d’hier et les tenants actuels de la mondialisation du capitalisme
Z. Z.

 


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