Zones d’ombre, l’autre nom de la pauvreté



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Zones d’ombre, un concept appliqué depuis l’année dernière pour désigner les localités pauvres ne disposant pas des moyens ou des infrastructures nécessaires pour garantir une vie décente aux citoyens. Une zone d’ombre est par définition un espace voilé, loin de la lumière et dont les contours sont difficiles à définir. Il se trouve toutefois que la pauvreté en Algérie est tout sauf voilée, elle est flagrante et apparente sauf pour ceux qui ne veulent pas voir.

Qualifier ces régions pauvres de zones d’ombre revient à justifier des décennies de mauvaise gestion. Comme si la pauvreté était une découverte récente en Algérie, on parle de zone d’ombre aujourd’hui en insinuant que le pouvoir central ne connaissait pas leur existence avant et n’a rien vu de la dégradation de la vie dans ces régions jusqu’à ce jour.

Une manière de jeter la pierre aux autorités locales et dédouaner des décennies de gestion centralisée sans réel impact sur le développement local.

Qu’il y ait de l’argent ou non, le même constat est fait : une mauvaise gestion généralisée dont tout un système politique est responsable.

Le dernier rapport annuel 2020 de la Cour des comptes, récemment publié, montre d’ailleurs à quel point la mauvaise gestion incombe à tous les acteurs et en premier au pouvoir central.

D’ailleurs, contrairement à ce qui est sous-entendu par certains rapports sur ces zones d’ombre, elles ne sont pas toutes localisées dans des régions éloignées de la capitale, ou loin des regards du gouvernement.

Des zones d’ombre existent partout et dans toutes les wilayas, même à Alger la capitale où se trouvent toutes les administrations centrales et même dans la commune la plus riche d’Algérie Hassi Messaoud. La pauvreté est partout et la crise sanitaire n’a fait qu’aggraver ce phénomène.

A l’heure où on parle de transition énergétique, il se trouve qu’en cette année 2021, des localités dans le cœur bâtant de la capitale n’ont pas accès au gaz de ville. Les localités de Beau Fraisier et Carrière Jobert, classées zones d’ombre, situées dans la commune de Oued Korich, manquent de raccordement au gaz de ville, au réseau d’assainissement et d’éclairage public.

Sans compter l’absence d’écoles, de bureau de poste, de salle de sport ou d’espaces de jeux et de loisir, encore moins d’entreprises pour résorber le chômage.

«La commune de Oued Korich manque de ressources et ne peut seule répondre aux attentes des citoyens. Les citoyens de la commune sont obligés d’aller à Bab El Oued pour pouvoir accéder à un bureau de poste. Imaginez la frustration des gens qui sont obligés de faire des kilomètres pour retirer un salaire ou envoyer une lettre. Les citoyens sont isolés alors qu’ils habitent en plein cœur de la capitale. N’ayant accès à rien, même les écoliers sont obligés de marcher 3 km pour se rendre au CEM», déplore Mohamed Moussi, maire de Oued Korich qui insiste sur le fait que la commune n’a pas les moyens de faire des projets de développement sans des aides conséquentes de l’Etat.

L’absence d’entreprises n’aide pas à enrichir la commune à travers les taxes. Toute la commune de Oued Korich ne compte pas une seule banque, ni d’agence Actel et les activités commerciales sont difficiles à développer.

Des zones d’ombre au cœur de la capitale

«Les gens vivent comme sur une île isolée, où l’Etat n’existe pas. Nous avons des bidonvilles construits sans permis et l’une des solutions que nous préconisons pour créer un peu de vie décente dans cette localité, c’est de faciliter aux citoyens l’accès aux permis de construire pour enfin sortir du cadre de bidonvilles actuel», suggère le maire qui alerte sur l’urgence d’aider la commune qui ne compte en fait qu’un célibatorium pour les unités de police.

Dans le dernier rapport de la Cour des comptes, la commune de Oued Korich est citée comme exemple sur l’abandon d’un projet de création d’une sûreté urbaine alors que les travaux avaient été entamées. «Des demandes de réévaluation du coût de l’opération ont été introduites auprès des services du ministère des Finances, sans résultat, ce qui a amené la wilaya à abandonner le projet», note le rapport.

C’est là un exemple d’une commune pauvre de l’Algérois située à un battement d’ailes seulement du siège du gouvernement.

Que dire des localités éloignées de la capitale que mêmes les walis ne connaissent pas. Dans la commune d’Ait Smail située dans l’extrême est de la wilaya de Béjaïa, le constat est encore plus alarmant. «Il y a un manque flagrant dans la prise en charge des doléances de la population en termes d’accès à l’eau, d’assainissement, d’électrification rurale, de raccordement au gaz, d’infrastructures pour les jeunes, de routes, d’écoles, cantines, de transport scolaire», nous confie le maire d’Ait Smail, Sadek Rebai.

Sa situation géographique en zone montagneuse et aux reliefs accidentés fait que la commune a besoin de moyens financiers importants pour sortir de l’isolement, plaide le P/APC.

«Notre commune est pauvre et dépend totalement des subventions de l’Etat et ne possède aucune ressource propre qui puisse qui garantir un minimum d’autonomie de gestion. Pour réussir ce programme d’aide aux zones d’ombre, l’Etat doit créer une caisse indépendante réservée spécialement pour ces zones sans toutefois toucher à d’autres programmes de développement, à savoir le PCD et le FCCL… Dans le cas contraire, les agglomérations importantes vont être pénalisées et peuvent rejoindre au fil du temps les zones d’ombres», souligne notre interlocuteur Sadek Rebai.

Des témoignages qui se rejoignent pour deux communes distantes et ne présentant pourtant pas le même cadre topographique ni urbanistique. Où se situe donc la faille de ce mal développement ambiant ?

Le rapport de la Cour des comptes, qui est un diagnostic précis de la gestion administrative des projets de développement, apporte quelques réponses qui doivent ouvrir les yeux des responsables centraux feignant ne pas connaître comment naissent les zones d’ombre.

La Cour des Comptes désigne les failles de la mauvaise gestion administrative

Le contrôle d’un échantillon de 20 opérations d’équipement, d’une autorisation de programme globale de 26 Mrds de DA, exécutées par quatre (4) Directions de l’administration locale (DAL) des wilayas d’Alger, Boumerdès, Tlemcen et Djelfa, durant la période 2010-2017, fait ressortir dans le rapport de la Cour que  la gestion de ces opérations est altérée par de nombreuses lacunes qui ne sont pas sans impact sur l’atteinte des objectifs fixés.

«La programmation des opérations est caractérisée par une maturation insuffisante des projets inscrits, en raison, notamment, d’une faible identification des besoins, des études incomplètes, des changements fréquents des sites d’implantation des projets, entraînant des réévaluations des coûts des projets et des retards dans leur achèvement. La mise en œuvre des opérations d’équipement est, par ailleurs, marquée par un recours abusif au mode de gré à gré dans la passation des marchés, la conclusion d’avenants modifiant substantiellement l’économie du marché et l’allotissement des opérations d’équipement contrairement aux décisions d’individualisation induisant une disparité dans les prix pratiqués. A cela s’ajoute, un manque de rigueur dans le suivi des projets du au non respect, par les bureaux d’étude de leurs engagements contractuels afférents à la finalisation des études nécessaires à la réalisation des travaux», indique ledit rapport.

Des défaillances récurrentes sont soulignées dans la mise en œuvre des différents programmes d’équipement publics, à l’instar des programmes de création et de réhabilitation des zones industrielles et des zones d’activité et du programme sectoriel déconcentré du secteur de l’intérieur concernant la réalisation des infrastructures administratives, d’éducation et de formation.

«L’examen de la nomenclature des opérations d’équipement inscrites, au titre du PSD, à l’indicatif des walis, fait ressortir une pléthore d’opérations de nature diversifiée, ce qui n’est pas de nature à faciliter la fixation des objectifs d’ensemble à atteindre et la quantification de leur impact sur le développement socio-économique des wilayas bénéficiaires», précise la Cour.

Autres griefs retenus par le rapport, le changement fréquent des maitres d’ouvrage et des niveaux très faibles d’exécution des programmes, une défaillance dans la programmation des opérations d’équipement, insuffisante maturation des projets.

Sur 2447 projets programmés, seuls 32% d’opérations ont été achevées. «Les vérifications, laissent apparaître l’absence d’une programmation cohérente répondant à des besoins suffisamment identifiés et fixant des objectifs chiffrés… Les dossiers techniques des projets, élaborés sur la base des fiches techniques adressées, par les services utilisateurs, ne contiennent que des descriptions sommaires des projets à inscrire…»

Le même rapport critique également le recours au gré à gré dans la passation des marchés qui est une pratique contraire aux principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement de candidats et de transparence des procédures.

Souvent acculées pour le manque de collecte de la fiscalité locale, les communes ne disposent pourtant pas, comme le souligne le rapport de la Cour des compte, d’un pouvoir fiscal normatif.

La problématique du non-recouvrement des recettes fiscales

«Ce pouvoir demeure du ressort de l’Etat même concernant les impôts et taxes dont les produits sont affectés intégralement au budgets des communes», indique la Cour expliquant en partie ainsi pourquoi des communes riches comptent le même niveau de pauvreté que d’autres ne disposant pas de ressources fiscales importantes.

«La centralisation de la décision fiscale vise notamment à assurer une égalité entre les collectivités locales devant l’impôt et un équilibre dans la répartition du produit fiscal… Il est établi que le revenu de certains impôts et taxes relevant de la fiscalité locale dont le recouvrement est assuré par les services de l’Etat enregistre des proportions dépassant les 90% de la fiscalité locale. Par contre, le taux de recouvrement des recettes fiscales relevant du trésorier communal, demeure faible», explique la Cour dans son document.

Ainsi, les commune ne profitent du gisement fiscal dont elles disposent en raison de dysfonctionnements et insuffisances caractérisant aussi bien les opérations de constations que de recouvrement. «Le contrôle a permis de conclure que les communes sous-revue ne disposent pas d’une vision claire en matière de gestion de leur fiscalité, et se contentent d’une gestion ponctuelle en l’absence d’une organisation et de procédure appropriées.»

Les agents communaux chargés du recouvrement ne disposent même pas d’instruments juridiques leur permettant d’exécuter leur mission. «Ils n’ont même pas la carte de commission nécessaire à l’exercice de leur mission… et n’ont pas l’information nécessaire pour l’identification des débiteurs et de la créance…, la nature des produits, la base de calcul, le décompte des sommes dues, l’imputation budgétaire, l’exercice auquel doivent être affectées les recettes fiscales». Et de relever que «les investigations ont permis de constater que les dispositions réglementaires en vigueur ne prévoient pas une coordination étroite entre les collectivités locales et les services fiscaux, permettant l’échange et la communication mutuelle des infirmations nécessaires au recensement des contribuables et à la détermination des bases d’imposition des droits fiscaux», critique la Cour.

Cette dernière regrette également l’absence au niveau des communes d’un programme pluriannuel ou annuel. Des programmes sont présentés aux délibérations sans calendrier de mise en œuvre et la tutelle ne l’exige pas non plus contrairement aux exigences de la loi.

Ledit rapport recommande la mise à la disposition des communes des instruments de programmation opérationnels, nécessaires, particulièrement, le schéma national d’aménagement et de développement durable, les schémas directeurs sectoriels, le pan directeur d’aménagement et d’urbanisme et les plans d’occupation du sol POS, tout en renforçant leurs capacités managériales et techniques, en vue d’une meilleure prise en charge de la maîtrise d’ouvrage des projets.

En somme, une décentralisation de la décision permettant aux communes de mieux répondre aux attentes des citoyens qu’elles connaissent le mieux.


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