Louisa Dris-Aït Hamadouche. Politologue

«La crise de la représentativité ne se réglera pas seulement par des lois»



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– Le projet de révision de la loi électorale, tel que présenté dans sa première mouture, participera-t-il, selon vous, à rendre leur crédibilité aux élections en Algérie ?

La crédibilité d’un scrutin ne dépend pas uniquement de la loi électorale. Dans l’absolu, même si cette loi établissait un régime électoral proche de la perfection (ce qui n’est pas le cas), elle ne suffirait pas à garantir cette crédibilité. En effet, cette crédibilité commence techniquement par la garantie des libertés individuelles et collectives et par l’ouverture de l’espace public et médiatique au pluralisme de la société.

Tout cela doit être garanti par la force et l’impartialité d’une justice indépendante, qui veille à appliquer la loi, même imparfaite, pour tous. La crédibilité d’un scrutin a besoin que l’opinion publique soit convaincue que l’alternance politique est possible, sans violence ni fraude. Une élection se fait dans un contexte adéquat et avec un certain état d’esprit. La confiance précède l’acte de voter.

Or, cette loi est perçue comme le maillon supplémentaire d’une approche entamée le 2 avril 2019 et dans laquelle les scrutins successifs continuent d’être considérés comme un moyen de perpétuer le statu quo politique.

Cette approche traduit moins la volonté des gouvernants de casser le soulèvement populaire de février 2019, qu’à leur traditionnel recours aux élections pour renouveler leur base sociale. Cette loi n’est pas susceptible de rétablir la confiance qui manque à une élection crédible.

– Il y a, dans ce projet de loi, une série d’articles stricts pour le contrôle du financement des campagnes électorales. Cela est-il suffisant, d’après vous, pour rationaliser le rapport entre le monde politique et celui des affaires ?

Il y a effectivement un élément nouveau intéressant qui concerne la traçabilité des contributions financières. C’est un élément tellement évident et dont la mise en exergue traduit le retard de l’Algérie dans le domaine des paiements tracés. En ce qui concerne les contributions des entreprises, désormais interdites, le débat est loin d’être tranché. Aucun régime démocratique n’a interdit le financement des campagnes électorales par des entreprises privées.

Car le financement privé est la garantie de l’autonomie de l’acteur politique à l’égard des gouvernants. Sans autonomie, pas d’alternance. Par contre, dans les démocraties, ces financements sont souvent plafonnés et toujours contrôlés. Pourquoi ne pas avoir opté pour cette formule ? La réponse vient peut-être du fait que la loi vise moins la rationalisation et la moralisation de la vie politique que son contrôle économique.

D’ailleurs, le fait que le gouvernement prenne en charge la moitié des dépenses des candidats indépendants de moins de 35 ans est elle aussi problématique.

Compte tenu du contexte politique fait de défiance, de boycott et de contestation, cette annonce peut facilement être interprétée comme un moyen d’acheter la future base sociale du pouvoir politique. Sans moyen de contrôle strict de ce financement, comment éviter que cette procédure se transforme en «Ansej politique» ?

Les expériences menées par les démocraties dans le monde montrent que la réduction du poids de l’argent (sale ou pas d’ailleurs) dans les élections ne peut être garantie que par des instruments compétents et impartiaux de contrôle en amont et en aval. Cet outil n’existe pas en Algérie, car le comité créé à cet effet dépendra de l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE) qui, comme le prévoie la nouvelle Constitution, n’est pas indépendante de l’Exécutif.

– Le texte de loi accorde davantage de prérogatives à l’Autorité nationale indépendante des élections. Dans quelle mesure cela peut-il participer à la garantie de la neutralité de l’administration ?

Sur le plan strictement technique, l’existence d’une instance indépendante d’organisation des élections peut effectivement constituer un élément favorable, pour peu que cette instance soit effectivement indépendante.

Indépendante implique que ses membres soient élus par leurs pairs et non désignés par l’instance exécutive ; qu’elle soit effectivement maître de l’opération en amont, avec notamment la vérification du fichier électoral pendant l’élection et, en aval, maîtriser le dépouillement des votes, avant d’en annoncer les résultats.

Pour qu’une telle instance soit autonome de l’administration, elle doit mobiliser une ressource humaine quantitativement importante et formée pour cette mission. Cela prend entre 6 mois et un an au minimum. La situation actuelle ne correspond pas du tout à ce schéma. 

D’ailleurs, le comité indépendant nouvellement créé sera chargé de l’audit, notamment sur le financement de tout le processus de la campagne électorale.

Or, ce comité sera mis sous la tutelle de l’ANIE qui, elle-même, est sous la tutelle de l’Exécutif. Ce comité n’aura donc pas les moyens de fonctionner comme un instrument de contrôle qui nécessite l’autonomie totale des acteurs impliqués dans l’opération électorale. On ne peut pas être juge et partie.

– Les listes des candidats aux Assemblées populaires communales (APC) doivent impérativement (pour les communes de plus de 20 000 habitants) garantir la parité hommes-femmes. Le tiers de la liste doit être composé de jeunes ayant moins de 35 ans. La politique des quotas peut-elle avoir un sens, selon vous, compte tenu de la réalité de la configuration de la politique algérienne ?

Il existe deux aspects dans votre question. Le premier concerne la politique des quotas. Elle s’appliquait pour les femmes. Elle concernera aussi les moins de 35 ans pour un tiers. Dans l’absolu, la discrimination positive est utilisée pour compenser l’inégalité des chances des individus à parvenir à un objectif déterminé.

Le quota est supposé ramener de la justice là où l’égalité est absente. Elle a montré des effets positifs dans un certain nombre de situations dans le monde, à condition que les préalables soient effectivement réunis. Ces préalables n’étant pas réunis en Algérie, cette approche est appliquée depuis 2 mandats, sans résultats qualitatifs palpables.

Pourquoi ? La question de la représentativité des femmes et des moins de 35 ans est une partie d’un tout. Le tout est la représentativité citoyenne, électorale. Les conditions objectives de cette dernière ne sont pas réunies.Le deuxième aspect concerne les éléments techniques de la loi. Le classement des candidats dans les listes étant retiré, rien ne garantit que la parité des femmes et le quota des jeunes seront respectés pour les candidats élus.

Il est même probable que les femmes soient les premières victimes du fait qu’il n’est pas fait obligation à l’électeur de voter en fonction de cette parité. Il s’agit donc d’un recul par rapport au tiers de femmes, exigé dans la loi précédente. Je le répète, un recul formel seulement dans le fond, la crise de la représentativité que connaît l’Algérie ne se réglera pas uniquement par des lois.


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