Leo Fabrizio. Artiste contemporain et conférencier italo-suisse

«L’œuvre de Fernand Pouillon mérite d’être étudiée profondément»



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La maison d’édition privée algérienne Barzakh a coédité avec la maison franco-suisse Macula un beau livre intitulé Pouillon et l’Algérie, bâtir, à hauteur d’homme. Les photographies sont signées par  Daphné Bengoa et Léo Fabrizio et le texte de Kaouther Adimi. Entretien à point avec l’artiste Léo Fabrizoi : un immense passionné de l’œuvre de Fernand Pouillon.

– Vous avez publié récemment un beau livre sur  le travail de l’architecte français  Fernand Pouillon.  Comment est né ce projet de recherche photographique, réalisé à quatre mains ?

Ma rencontre physique avec les constructions de Fernand Pouillon à Alger remonte à 2012. J’y venais pour réaliser des photographies de la nouvelle ambassade de Suisse construite par les architectes Bakker et Blanc. Mes parents ont vécu en Algérie au début des années 1970. Mon père architecte, que je n’ai pas connu, car mort à ma naissance, voulait y voir l’architecture inspirante qu’il s’y faisait.

Il doit donc y avoir en moi une sorte de réminiscence, car mon amour pour l’Algérie et la ville d’Alger est comme l’émerveillement devant l’architecture de Fernand Pouillon, il fut immédiat. De retour en Suisse, j’espérais retrouver dans des publications la forte impression vécue à Diar El Mahçoul, Diar Es Saâda ou Climat de France.

Je remarquais alors que le nombre de publications était assez restreint, plutôt scientifiques, et que l’Algérie était finalement assez peu présente dans les médias, en dehors des sujets récurrents et réducteurs… J’ai donc entrepris, en 2014, une première série de photographies grand format et au film. Je me suis lancé assez naïvement et donc sans autorisation, ce qui a conclu assez rapidement la séance de prise de vues.

C’est donc bien plus tard, quand j’ai réalisé qu’il fallait monter un dossier solide comprenant tous les champs connexes à la photographique d’architecture, que j’ai invité un certain nombre de spécialistes à un projet commun.

Ce n’est qu’en 2018, fortement soutenu par l’ambassade de Suisse en Algérie et le ministère des Affaires étrangères algérien, puis par le groupe HTT(Hôtellerie, Tourisme et Thermalisme), que j’ai pu réaliser ces images.

– Si vous vous êtes attelé à immortaliser les bâtiments réalisés par Fernand Pouillon,  pour sa part, Daphné Bengoa s’est intéressée à l’intimité des habitants. L’approche a-t-elle été facile pour les familles ?

Dès le départ, mon propos fut de m’intéresser assez exclusivement à l’œuvre de cet architecte, si méconnue. Elle s’avère être au final l’œuvre bâtie par un seul homme la plus conséquente du XXe siècle, et certainement une œuvre majeure de notre temps. Et sa plus grande partie se trouve en Algérie. Il fallait que j’y consacre tout mon temps et toute mon énergie.

Cependant, l’Algérie, de par sa lumière, ses couleurs et sa musicalité, est pour moi extrêmement cinématographique. Je voulais aussi trouver un moyen subtil et non invasif pour recueillir les témoignages fantastiques que je recevais des habitants, ceux finalement pour qui Fernand Pouillon a destiné cette architecture et pour qui il s’est toujours battu.

J’ai donc cherché dans mon entourage quelqu’un pour entreprendre cette tâche. Par la force des choses, ce travail photographique à deux s’est formalisé, l’un sur l’architecture, l’autre sur les usagers. Je tiens à souligner l’accueil formidable et chaleureux que j’ai toujours reçu en Algérie.

De Oued Koriche jusqu’à Ghardaïa, de Tlemcen à El Kala, nous avons toujours été reçus de manière fantastique et même souvent aidés. Je ne passe pas franchement inaperçu, avec mon appareil volumineux toujours vissé sur un trépied, et je suis moi-même généralement perché sur une échelle.

Je pense souvent à ces rencontres autour de l’appareil, à ces gens qui m’ont spontanément proposé de porter mon échelle ou une partie de mon lourd équipement.

Un jus de fruits frais offert pendant les fortes chaleurs d’été, ou un moment de repos sur un banc à l’ombre. Des moments simples, ceux de la vie, dont l’architecte Fernand Pouillon avait une conscience extrême, et qui a pris un soin infini pour que ses constructions génèrent ces moments de collectivité.

– La sélection a été  des plus difficiles puisque  vous avez réalisé plus de six cents clichés grand format durant l’année 2018…

Avec le recul, c’est surtout l’énergie dépensée en un si cours laps de temps qui semble un peu délirante. Mais cela en valait largement la peine ! Mon objectif a toujours été de réaliser une sorte d’iconographie de l’œuvre de Pouillon, vue d’aujourd’hui, non exhaustive, mais la plus représentative possible. Comme toute iconographie, elle peut et pourra servir à plusieurs types de projets. Mais il reste encore tant à faire.

– L’architecte Fernand Pouillon est réputé pour ces architectures durables. Quels sont, justement, les paramètres sur lesquels reposait sa construction ?

L’un des grands principes de l’architecture de Fernand Pouillon, c’est qu’il la voulait sociale. C’est-à-dire de par son aménagement, de l’échelle urbanistique jusqu’au moindre détail d’aménagement, elle génère un climat propice au vivre-ensemble, à la communauté. La place du marché, le café, l’école, la fontaine, ne sont pas des contraintes du programme ou des fantaisies décoratives.

Comme les matériaux employés ou les œuvres commandées pour les cités, tous ces éléments participent à un confort de vie collective, même si les dimensions du logement sont modestes. L’architecte d’aujourd’hui, comme à l’époque de Pouillon, répond à une commande, et donc à un commanditaire. Et dans ces programmes d’envergure, jamais le commanditaire – que ce soit un promoteur privé ou une instance étatique – ne sera l’utilisateur final.

Le grand tour de force de Fernand Pouillon, c’est de toujours avoir considéré l’utilisateur final, l’habitant, comme son commanditaire, et donc d’avoir toujours privilégié, si possible, son bonheur, mais en tout cas et à tout prix, son confort de vie. Restait alors à satisfaire le véritable commanditaire, notamment en respectant des coûts de construction extrêmement serrés. Le nom de l’architecte n’a alors plus vraiment d’importance.

C’est son architecture et la qualité de ce qu’elle génère sur les vies qui s’y déploient, qui va la rendre intemporelle et donc durable. L’œuvre de Fernand Pouillon, du point de vue scientifique et architectural, mérite de sortir de l’ombre pour être étudiée profondément.

Nous avons énormément à en apprendre. Mais de l’Algérie très spécialement, les enseignements à en tirer dépassent largement le cadre de l’architecture.

Fernand Pouillon avait une connaissance historique très poussée de ce pays. Toute son architecture regorge de références et de reconnaissance à la grande histoire des peuples algériens. L’histoire, cette architecture, et la vie qui s’y déploie, rentrent alors en résonance, de manière peu commune.

– Cette recherche d’artiste, de documentariste et d’anthropologue vous a-t-elle permis de mieux cerner l’immense œuvre architecturale de Fernand Pouillon  ?

Certainement. Il faut comprendre qu’une grande partie de l’œuvre est méconnue, soit parce que nous ne savons pas, ou plus, où se situent les bâtiments, soit parce que les informations, comme les archives par exemple, sont manquantes.

En France comme en Algérie, des bâtiments sont découverts encore aujourd’hui. Si des travaux scientifiques antérieurs ont permis d’ancrer les bases de la reconnaissance et de la compréhension de cette œuvre, mon travail a permis, et notamment auprès du grand public, de le remettre sur le devant de la scène.

C’est une grande satisfaction et une grande fierté aussi de voir l’engouement suscité par mon travail autour de l’œuvre de Fernand Pouillon, spécialement chez les jeunes générations, comme chez les jeunes architectes.

L’accueil réservé par la jeunesse algérienne m’a beaucoup touché. Il y a un potentiel, d’idées, créatif, dans cette jeunesse, qui est incommensurable. Il y a aussi beaucoup de personnes, propriétaires de maisons privées, dépositaires d’archives, qui sont venues vers moi avec des informations d’une valeur historique inestimable.

Il reste encore tant à découvrir ou à redécouvrir, et je compte beaucoup sur ces rencontres et ces témoignages, qui sont à mon avis la clé de la connaissance de ce patrimoine bâti. C’est donc avant tout une aventure humaine !, qui se forge autour d’une chorba ou d’un couscous.

– Sinon, êtes-vous sur d’autres projets ?

La situation sanitaire actuelle met à mal mon addiction pour l’Algérie et le sevrage m’est bien difficile à vivre. Il reste tant à faire. J’attends avec impatience de pouvoir revenir et continuer l’exploration de cette œuvre, particulièrement dans le Sud où je n’ai pas encore eu le temps ni les moyens d’aller.

Ce travail étant presque totalement autofinancé, cette «pause» forcée me permet aussi justement de renflouer les caisses et, qui sait ?, de trouver des soutiens financiers.

Je rêve aussi d’expositions en Algérie, ce qui serait un juste retour des choses, notamment dans les quatre cités d’Alger et d’Oran, avec et pour les habitants. L’enseignement de Fernand Pouillon et de Jacques Chevallier, c’est peut-être de perpétuer cette générosité humaniste et de continuer à bâtir des ponts entre nos peuples.

Bio-express

Leo Fabrizio est né le 17 novembre 1976 à Moudon en (Suisse). De nationalité suisse et italienne, il vit et travaille à Lausanne. Artiste contemporain et conférencier, sa pratique s’inscrit dans les arts visuels, avec un travail s’articulant autour de la photographie et la fabrication d’images.

Il revendique un travail engagé, visant à produire de la pensée et à soulever des questions d’ordre métaphysique et philosophique. Diplômé HES en communication visuelle (Bachelor) avec mention en 2002, il obtient en 2005, un diplôme d’étude post-grade en photographie. Son travail a reçu plusieurs distinctions, notamment le concours fédéral «Swiss Design» en 2003, 2006 et 2011, ainsi que par la Fondation Leenaards en 2005.

En 2004, il publie son premier livre monographique Bunkers aux éditions Infolio à Gollion, en Suisse (texte Eric Troncy). 2010, JRP|Ringier à Zürich publie son ouvrage Dreamworld, une étude réalisée entre 2004 et 2007 en Asie du Sud-Est et avec un texte de l’artiste et réalisateur Thaï Apichatpong Weerasethakul et du critique d’art Pascal Beausse.

En 2019, après 5 années de recherche, il publie aux éditions Macula un premier ouvrage de son travail sur l’architecte français Fernand Pouillon, ouvrage accompagnant l’exposition au même titre aux Rencontres photographiques d’Arles. Il enseigne régulièrement dans des écoles d’art ainsi qu’a l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne en architecture.


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