Guerda Abdellaziz. Acteur

 «Nous espérons que les salles de spectacles rouvriront»



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Difficile pour vous croiser. Comment passez-vous votre quotidien en ces mois de confinement ?

Je passe mes journées péniblement avec cette crise sanitaire, sachant que personne n’est à l’abri des conséquences néfastes de cette pandémie. Je préfère rester cloîtré chez moi. Je sors de chez moi en cas de force majeure, pour acheter les médicaments, les aliments, ou retirer des sous à la poste. Si je franchis rarement la porte, je me soumets d’une manière stricte aux exigences du protocole sanitaire. Je vous réitère avec toute ma sincérité, que je vis très mal mes journées avec cette crise sanitaire.

Parlez-nous alors de l’impact de cette crise sanitaire dans le secteur de la culture ?

C’est une grande catastrophe qui s’abat sur le secteur culturel. Voyez-vous, tout est fermé, y compris les tournages pour les productions cinématographiques. L’oxygène pour une actrice ou un acteur, c’est le fait de se trouver sur un plateau de tournage. Une production est magnifique, extraordinaire pour les comédiens et les techniciens durant ces moments de tournage. J’espère qu’avec l’arrivée du vaccin, la situation va s’améliorer. Inch’Allah, et les salles de spectacles vont rouvrir, afin que nous puissions sortir de cette agonie. Il faut reconnaître que la crise sanitaire a mis à genou tous les secteurs d’activité dans tous les pays du monde, donc pas uniquement le secteur de la culture.

Malgré cette atmosphère, avez-vous reçu des propositions pour des tournages ?

Oui, oui, j’ai reçu, néanmoins, cela donne à réfléchir. Personnellement, je ne suis plus en mesure de prendre des risques. Les terrains sont devenus glissants. On m’a proposé un rôle pour un feuilleton. Par crainte des dangers qui nous guettent, j’ai refusé poliment. Mais je vois que certains sont volontaires pour travailler. Enfin, je ne vais pas m’étaler sur les détails, ils sont libres. Pour revenir à votre question, l’ENTV m’a proposé un portrait dernièrement. J’ai accepté à titre exceptionnel avec plaisir, après avoir été hésitant au départ. Toute l’équipe du tournage et moi-même étions mobilisés durant un mois. J’ai revisité tous les points qui avaient jalonné ma vie. J’ai revu quelques amis à la Casbah d’Alger, le quartier où je suis né, Bir Djebbah. C’est un quartier qui a vu naître des monuments du secteur de la culture algérienne. Ce tournage m’a permis de replonger dans mon passé.

Durant ce tournage, quel est le lieu ou les personnes qui demeurent gravés dans votre esprit ?

Incontestablement la salle de cinéma
Nedjma à la Casbah. Je fréquentais beaucoup cette salle pour assister à la projection des films américains, égyptiens et indous. J’achetais les tickets d’entrée avec mon argent de poche. Ces films m’avaient inspiré et avaient suscité un grand intérêt chez moi, tout en étant gamin, pour le cinéma. Un jour, j’avais pris la décision de devenir comme les acteurs de ces films. En 1959, je me suis inscrit au conservatoire, avec l’accord de mon père. Les conditions sociales n’étaient pas faciles.

A présent en 2021, comment allez-vous transmettre un message pour un jeune qui veut faire du théâtre ?

Je ne me suis pas arrêté au conservatoire, la méthode de formation était classique. J’étais parti ensuite à l’école de Bordj-El-Kiffane pour poursuivre mon apprentissage. A l’issue de mes cinq années de formation à l’école de Bordj-El-Kiffane, je commençais à mieux comprendre le rôle de comédien complet. Cette école bénéficiait d’un personnel pédagogique venu des pays européens et arabes. L’intensité du volume de formation nous obligeait à demeurer proches de nos classes. Ce n’était pas de la rigolade. J’ai rejoint ensuite l’Académie militaire de Cherchell, à l’époque dirigée par le défunt Colonel Yahiaoui Mohamed Salah. Après mes mois d’instruction, j’étais affecté dans une caserne militaire à Constantine, en compagnie de l’appelé Hachemi Nour-Eddine, qui avait étudié le théâtre en Allemagne (ex-RDA, ndlr). Nous avons pu faire le montage d’une pièce de Kateb Yacine intitulée, La Poudre d’intelligence. D’ailleurs, nous avons décroché, au début des années 70, un prix au festival de théâtre à Mostaganem. J’intègre le TNA, après avoir accompli mon service national. Le TNA pour moi constituait un tremplin pour apprendre et peaufiner le rôle de comédien au pluriel. Il me fallait de la pratique et gagner en expérience. J’avais eu le privilège de côtoyer Mustapha Kateb, Alloula Abdelkader, Allel Bouail, Hadj Omar et j’oublie d’autres noms des monuments du théâtre algérien. J’avais appris beaucoup de choses avec ces personnalités du théâtre. J’avais complété ma formation. Hélas, une bonne partie de ces algériens exceptionnels ne font plus partie de ce bas monde. Les années passent, des amis et mon entourage m’avaient encouragé à signer ma 1ère mise en scène. La direction du TNA m’avait fait appel, pour me proposer une pièce de Molière, Le malade imaginaire, adaptée par Mahieddine Bachtarzi, Allah errahmou. Après avoir longuement travaillé le texte de Mahieddine Bachtarzi, j’avais pu monter la pièce de théâtre qui avait enregistré un extraordinaire succès, au début des années 2000. Elle était restée 03 années à l’affiche. Également, j’avais monté une pièce ensuite au théâtre régional de Tizi-Ouzou, intitulée Super Mir ou Rabi K’bir. Cette pièce avait été adaptée par Abdelhamid Rabia. Je me rappelle de mon défunt ami, Abdellah Ouriachi, qui avait lui aussi monté la pièce Mir ou Rabi K’bir. Je me suis produit dans le feuilleton Nass M’Lah City de Djâafar Gacem, projeté à la télévision. Ce fut un grand succès. Donc, pour mon message aux jeunes, il faut d’abord aimer le métier, se former au théâtre et surtout se frotter avec les artistes de grande qualité pour mieux apprendre le rôle de comédien, afin d’acquérir l’expérience, avant d’affronter la scène, les projecteurs et le public.

On vous voit de moins en moins ces derniers mois, vos amis s’inquiètent…

Effectivement, je me suis retiré ces derniers mois. J’avais expliqué les raisons. En outre, le théâtre algérien avait reculé, pour diverses raisons. Il ne faut pas oublier qu’il avait été l’une des principales cibles durant les années noires du terrorisme. Nous avons perdu des amis, assassinés, alors que d’autres menacés avaient préféré s’exiler sous d’autres cieux. Je citerai le cas de la famille Mimouni. Et maintenant, c’est la pandémie qui freine les activités culturelles. Nous étouffons.

Mais alors, allons-nous avoir un jour vos mémoires ?

Je suis tenté. Malheureusement, l’atmosphère actuelle m’a déstabilisé. Je ne suis pas en mesure d’écrire. Je suis dépité. Ecoutez, je viens de perdre ces dernières semaines 03 membres très proches de ma famille à cause de la Covid-19. Ce n’est pas facile d’encaisser toutes ces difficultés. Mon moral est atteint. Vous devez me comprendre.

Ce sera ma dernière question. Avez-vous des projets ?

Vous plaisantez ? Tout est fermé. Je suis en possession d’un scénario. Je suis perturbé par l’ambiance qui règne. Néanmoins, j’espère que ce vaccin fera ses preuves en premier lieu. Ensuite, nous allons voir pour mes projets, mais ce n’est guère facile de travailler dans la crainte. J’avais tenté une expérience pour créer un atelier de formation en théâtre au profit des jeunes dans la ville de Cherchell, où j’habite actuellement. Quand vous êtes confronté à la mauvaise volonté et à l’incompréhension des responsables locaux, il est impossible de concrétiser vos projets. Inch’Allah tout va rentrer dans l’ordre incessamment.

Propos recueillis par
M’hamed Houaoura

Un metteur en scène dépité par la crise sanitaire

n Une silhouette imposante, une démarche nonchalante, une tête enfouie dans une casquette, une bavette sur le visage qui laisse apparaître juste deux yeux, un regard anonyme qui balaie la rue au fur et à mesure que sa masse corporelle avance au milieu de son chemin, difficile de débusquer l’artiste et metteur en scène, connu chez les familles algériennes, à cause de ses fréquentes apparitions sur le petit écran et certains spots publicitaires. Il s’agit de Guerda Abdellaziz. Du haut de ses 75 printemps, l’artiste est à la recherche d’un coiffeur, afin qu’il puisse se libérer rapidement de sa blanche chevelure. «Je retourne à la maison, j’évite les haltes au milieu de la rue, la pandémie est un danger, nous dit-il, trouvez-moi alors un coiffeur et nous allons ensuite discuter, cela me permet aussi d’exprimer mes sentiments», dit-il. Sa rencontre avec l’inconnu coiffeur aura été cordiale. L’artisan coiffeur, Mâamar Mahi, fils de Si M’hamed, lui aussi coiffeur, musicien et ami du chanteur Garami Abdelhamid, avait travaillé à Bab-El-Oued et connaît du monde de la Casbah d’Alger. Des moments d’histoires intéressantes pour son client, Guerda Abdellaziz. Notre interlocuteur affiche sa disponibilité après avoir coupé ses cheveux, pour répondre à notre question.

M. H.


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