En Tunisie, la double douleur des familles des victimes de la Covid-19



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Près de l’ambulance transportant la dépouille de son frère Salah, décédé du coronavirus à Tunis, Lotfi prononce la prière du mort en direction de La Mecque.

Mais d’autres proches ne pourront participer à aucune cérémonie de deuil à cause des restrictions sanitaires. «La douleur de la séparation est double. Mon frère Salah est mort sans que sa fille ni sa femme n’aient pu lui dire adieu», confie en pleurant Lotfi Jlassi dans le grand cimetière du Jellaz, à Tunis. Les victimes du coronavirus sont transférées directement de la morgue au cimetière, sans passer par le domicile familial où se déroule habituellement la toilette funéraire à l’eau de rose, ni par la mosquée pour la Janaza, la traditionnelle prière du mort.

Or, c’est à la maison que les femmes de la famille disent adieu à leur proche, car la cérémonie au cimetière est le plus souvent réservée aux hommes. M. Jlassi assiste à l’inhumation de son frère avec trois autres hommes de la famille. Les agents des pompes funèbres, en blouses et équipés de masques, gants et bottes, se joignent au dernier hommage. Le défunt est enterré dans un nouveau carré de terre consacré aux morts de la pandémie, où environ 2000 tombes ont fleuri en quelques mois.

«Pas assez d’expérience»

Les sépultures numérotées côtoient des trous préparés à l’avance sur le terrain arboré surplombant Tunis. La Tunisie a officiellement recensé près de 8000 décès liés au coronavirus, la plupart depuis septembre, pour une population de plus de 11 millions d’habitants. Avec les mesures spéciales pour enterrer les morts du virus, la plupart des membres de la famille ne peuvent voir le visage des défunts une dernière fois, ni les embrasser sur le front comme cela se fait d’habitude. «C’est difficile, insupportable», martèle M. Jlassi, la gorge nouée. L’organisation des enterrements est «très délicate», reconnaît Mehdi Dellaï, responsable des pompes funèbres pour la mairie de Tunis.

Ses services tentent de minimiser les risques de contagion «tout en prenant en considération l’état psychologique» des familles. Parfois, l’ambulance passe à proximité du domicile de la victime, pour permettre un dernier adieu sommaire à sa famille et ses amis. «Nous leur expliquons que leurs morts sont des martyrs», dit-il, et qu’à ce titre, ils peuvent être enterrés sans toilette rituelle et méritent le paradis. Au début de la pandémie, seul un membre de la famille pouvait assister à l’inhumation, à bonne distance, contre quatre aujourd’hui. Certains enterrements ont eu lieu sans aucun proche, les agents prenant de petites vidéos à la demande des familles. «On avait peur d’être contaminés par ce nouveau virus et on n’avait pas assez d’expérience dans la gestion de telles situations», avoue M. Dellaï.

Au cimetière du Jellaz, Aya, 16 ans, se recueille sur la tombe de son père, décédé il y a quatre mois. Vêtue de noir, une récitation du Coran sur son téléphone, elle pose des grains de blés sur la sépulture pour que les oiseaux rendent visite à son père. «La douleur de la séparation va peut-être s’atténuer, mais jamais nous n’oublierons que nous ne lui avons pas dit adieu.»


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