Wahida Chaab. Présidente de l’entreprise algero-française Cital

«La lutte contre la corruption doit être menée avec ardeur»



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Après une dizaine d’années passées dans l’aviation militaire puis plus de 10 ans au sein du groupe Alstom, Wahida Chaâb a pris les rênes de CIital, entreprise mixte publique algéro-française spécialisée dans l’assemblage et la maintenance de rames de tramways et de matériels roulants ferroviaires en 2018 en tant que présidente-directrice générale. Les différents postes qu’elle a occupés tout au long de sa carrière lui ont permis d’acquérir et de capitaliser une solide expérience.

Votre intégration au sommet du management de l’entreprise avec votre nomination en 2018 à la tête de Cital, après un parcours dans l’armée puis avec le groupe Alstom, s’est-elle bien passée ?

Il ne s’agit pas à proprement parler d’une reconversion puisque je suis restée dans le domaine de l’industrie et de la mobilité liés au secteur des transports. Concernant ma première expérience au sein de l’aviation militaire, j’ai acquis beaucoup de hard et de soft skills mais principalement rigueur, discipline et cohésion dans le travail. Avec les multinationales, on apprend les standards internationaux dans l’exécution des projets et c’était le cas pour les projets de transport urbains et ferroviaires auxquels j’ai participé. La prise de fonction chez Cital s’est très bien passée. C’est une société que je connaissais déjà, c’est une entreprise publique économique, très prometteuse qui est un acteur majeur dans le transport urbain accompagnant ses partenaires pour mettre en œuvre des systèmes de transport modernes et fiables appuyé par ses compétences locales qui constituent son vrai capital. Mon arrivée à Cital, début 2018, avait pour objectif de donner une nouvelle impulsion à l’entreprise basée sur une stratégie court, moyen et long termes que j’ai mise en place avec mes collaborateurs. Elle est axée principalement sur la conformité totale de nos activités à la réglementation locale, la montée en compétences de notre personnel, le développement de l’intégration locale, la promotion de l’innovation et la libération des initiatives afin de pouvoir accompagner les défis actuels et futurs locaux , régionaux et mondiaux et tout cela en s’appuyant sur les standards les plus hauts dans le domaine.

On vous a confié les rênes d’une grande société dans un contexte économique particulièrement difficile ; un plan de charge sensiblement contracté du fait du gel de certains projets, tramway, situation qui s’est davantage compliquée après les bouleversements politiques et économiques ébranlant le pays depuis 2019 puis le déclenchement de la crise sanitaire Covid-19. Comment arrivez-vous à manager face à toutes ces déconvenues ?

En effet, la chute vertigineuse du prix du baril de 2014 à 2016 a ébranlé l’économie algérienne, ce qui a conduit au gel de certains projets tramways. Ceci a eu un impact direct sur notre activité. Ajoutant à cela les différents bouleversements politiques, économiques et sociaux qui ont accentué davantage la crise qui s’est révélée conséquemment à l’obsolescence de modèle économique de notre pays qui est basé sur la rente pétrolière
D’où la nécessité d’entamer des réformes profondes pour la reconstruction de notre économie en prenant le temps nécessaire et en s’appuyant sur des experts en la matière. Concernant la crise économique provoquée par la Covid-19, celle–ci a bouleversé tous les acteurs économiques, tous secteurs d’activités confondus, à travers le monde. Pour faire face à ces différents facteurs sous-jacents et à la vitesse du changement supérieure à la capacité d’évolution des organisations et dans ce monde d’incertitudes permanentes, nous avons dû nous adapter au niveau de Cital.

Cette adaptation s’est traduite par la revue de nos modes de fonctionnement et de management pour qu’ils soient plus agiles, ceci en favorisant le travail collaboratif , la digitalisation, l’optimisation des process, une meilleure gestion des contraintes et des risques, le développement de l’esprit d’initiative, mise en place de partenariats stratégiques avec des fournisseurs locaux, des universités et des start-up pour faire face aux défis financiers et opérationnels qui se dressent devant nous. Ce sont là les enjeux du manager 3.0, agile et lean. Par ailleurs, Cital s’est inscrit durant cette période difficile de crise sanitaire dans l’élan de la solidarité nationale observée à travers notre pays et s’est jointe activement à toutes les entreprises publiques et privées du secteur économique ayant décidé de faire des actions solidaires afin de combattre ensemble cette pandémie.

En tant que femme manager dans un secteur public, vous estimez-vous protégée, vous sentez-vous réellement dans un état de liberté d’entreprendre ?

Quand il est question de gestion des risques et de libertés d’entreprendre, il ne s’agit pas d’homme ou de femme mais des compétences managériales de la personne, son esprit d’entrepreunariat et la connaissance de ses obligations et devoirs. Pour ma part, je suis quelqu’un qui encourage fortement l’entrepreunariat, l’innovation et la prise d’initiatives, c’est de notre responsabilité en tant que gestionnaires de trouver des solutions aux différents problèmes que nous rencontrons et de réagir au moment opportun, tout en mitigeant les risques et en étant en totale conformité avec la législation en vigueur. La conjoncture difficile que traverse notre pays actuellement nous impose d’agir et d’être audacieux et faire preuve d’initiatives et prise de risques. Donc, le fait que le président de la République a réitéré son appel lors du Conseil des ministres du 28 février dernier nous réconforte et répond aux attentes des entreprises algériennes afin de libérer davantage les initiatives et permettre une relance économique et sociale. Cette dépénalisation de l’acte de gestion pourra aussi empêcher la perte des cadres compétents, dont l’Algérie a besoin aujourd’hui pour la construction de la nouvelle Algérie, tant espérée par tous les Algériens. Enfin, j’estime que les cadres gestionnaires compétents et intègres qui travaillent pour l’intérêt de notre pays doivent être protégés par nos institutions contre les pratiques arbitraires, mais aussi de toute pression externe dans le cadre dans l’accomplissement de leurs missions.

Des initiatives de femmes africaines de lutte contre la corruption voient le jour. Seriez-vous tentée par cette aventure ?

Pourquoi pas ! Toute ouverture sur le monde pour porter la voix de l’Algérie est bonne à saisir, toute opportunité qui permet de mettre en avant les progrès réalisés par la femme algérienne est bonne aussi à saisir et tout ce qui peut apporter une valeur ajoutée à mon pays ne peut être ignoré. L’aura de l’Algérie en Afrique tire sa profondeur des longues années de son soutien indéfectible aux mouvements de libération en Afrique. Concernant le fléau de la corruption, il n’est pas propre à l’Algérie mais aux pays du monde entier, qui ont d’ailleurs renforcé ces dernières années les enquêtes et les poursuites pénales qui s’imposent. Ceci s’illustre à travers les différentes lois qui sont en vigueur dans plusieurs pays à l’instar du FCPA/USA, Bribery Act /UK, Loi Sapin 2/ France et bien évidemment la loi 06-01 pour notre pays.

La lutte contre la corruption doit être menée avec ardeur même si la tâche est difficile et complexe, il faut aussi promouvoir davantage l’intégrité et la transparence dans le monde des affaires. Le fait que la BAD ait mis en place ce réseau dénote de l’importance de la participation de la femme africaine au développement de son continent. La BAD et ses partenaires se sont ainsi engagés à remédier au manque de moyens et de soutien auquel doivent faire face les dirigeants en matière d’éthique.

Par ailleurs, il faut noter avec satisfaction la publication par cette institution panafricaine de développement le 3 février 2021 de la nouvelle stratégie du genre pour la période quinquennale 2021-2025. A ce titre, je tiens à préciser qu’au sein de Cital, nous tenons à agir avec intégrité et en toute conformité avec la législation en vigueur en Algérie, afin de participer à la lutte contre la corruption et plus généralement tout ce qui a trait à l’éthique et la conformité.


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