Le lieutenant-colonel Yacine Boumrah. Sous-directeur chargé de la toxicologie

«Le haschich provenant du Maroc est aussi dangereux que les drogues dures»



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La culture du cannabis a évolué dangereusement au Maroc. De composition modifiée par des croisements de semences importées, le haschich n’est plus une drogue douce. Il est aussi dangereux que les drogues dures. Chimiste de formation, le lieutenant-colonel Yacine Boumrah, sous-directeur chargé de la toxicologie à l’Institut national de criminalistique et de criminologie, affirme dans cet entretien que la moitié des quantités de résine de cannabis saisies concerne le haschich modifié, contenant 20% de substances d’addiction, alors que celles-ci représentent un taux de 1% dans l’herbe traditionnelle.

Comment avez-vous travaillé pour obtenir les résultats de votre enquête sur l’évolution de la résine de cannabis saisie en Algérie durant une période de dix ans ?

Nous avons travaillé sur 33 000 échantillons de haschich saisis, durant les dix dernières années, par les différents services de sécurité à travers le pays. Cela nous a permis d’avoir une extraordinaire base de données, non seulement sur les réseaux mais aussi sur la composante du haschich produit, son origine, la nature du sol où cette plante a été cultivée, son cheminement et sa destination. Aujourd’hui, pour toute quantité de cannabis saisie, nous pouvons savoir d’où elle vient, à qui elle est destinée mais aussi déterminer sa composante.

L’enquête a été lancée en 2010 avec le démarrage de l’INCC (Institut national de criminalistique et de criminologie). L’objectif était de connaître les variétés de haschich saisies au niveau national. Les résultats ont été mis dans une base de données intérieure qui s’appelle ADIS (Algerian Drug Intelligence System), réalisée avec la collaboration de l’ENSI (Ecole nationale supérieure d’informatique) et l’Ecole militaire polytechnique.

Cette étude a mis en évidence l’évolution de l’indicateur de performance en termes de qualité du haschich saisi. Nous avions une idée sur la variété de cette drogue, mais l’étude nous a donné des résultats précis sur l’évolution de sa concentration. La dernière décennie a été marquée par trois étapes. La première s’étale de 2010 à 2014, durant laquelle le haschich dit de 3e choix représentait 75% des quantités saisies au niveau national et 24% pour le haschich de 2e choix, alors que celui dit de 1er choix, inexistant avant 2010, constituait 2%.

Entre 2014 et 2016, le haschich de 1er choix a connu une évolution importante. Il a atteint 6% des saisies en 2016. A ce moment, le haschich 2e choix représentait 40% de la totalité des saisies, alors que celui de 3e choix reculait de manière importante. Entre 2016 et 2018, la qualité du haschich était stable. Subitement celle-ci a augmenté atteignant un taux moyen de 20% durant 2020.

Que voulez-vous dire par le haschich de 1er, 2e et 3e choix ?

En fait, le principe actif du haschich est THC (Tetra Hydro Cannabinol). C’est la substance responsable de l’effet addictif de cette herbe. La résine de cannabis, ou le haschich ou le kif, présente trois substances connues.

La première est la THC responsable de l’effet psycho actif et addictif du haschich et une autre substance, le cannabinol, qui a un effet inhibiteur sur la THC. Dans le haschich traditionnel, le taux du THC est de 1% et celui du cannabinol est de 10%. C’est pour cette raison qu’on désigne le cannabis comme étant une drogue douce. Actuellement, le haschich hybride contient 20% de THC et 0% de cannabinol. Il a été saisi aussi bien au niveau international qu’en Algérie.

Les cultivateurs ont agi sur le taux de THC. Il est passé de 1% à 8% en 2015, 10% en 2016, avant de se stabiliser et de reprendre son envolée en 2018, un taux de 20% en 2019 et dépasser cette barre en 2020. Pour comprendre cette évolution, notre travail a été axé sur la composante de la plante, dont l’analyse a démontré des modifications par l’introduction de nouvelles variétés hybrides, dont les croisements sont destinés à agir sur le taux de THC, le rendement, les effets et le goût.

L’apparition de ce haschich puissant a coïncidé avec le retour, au Maroc, des Rifains, émigrés touchés par la crise économique de 2008, notamment en Espagne. C’est en 2012 que les premières saisies de cette variété ont eu lieu en Algérie. Traditionnellement, la teneur de THC dans cette herbe est de 1%. Celle-ci a évolué pour atteindre 6% en 2016 et 7% en 2017.

En 2019, ce taux a connu une hausse incroyable, atteignant les 50%. Actuellement, plus de la moitié de la résine de cannabis saisie concerne ce haschich modifié. C’est ce qu’on appelle le haschich hybride, dit de 1er choix, parce qu’il contient un taux de THC de plus de 20%. Il est en même temps aussi dangereux que les drogues dures. Avec un taux de THC de 1%, le haschich traditionnel est considéré comme étant du 3e choix, alors que celui qui a un taux compris d’un peu plus de 10% est classé comme étant du 2e choix.

Voulez-vous dire qu’il y a eu des modifications génétiques sur la plante ?

Exactement. Avant 2018, les saisies de haschich se faisaient uniquement dans les régions frontalières maritimes. Les raisons sont simples. Cette marchandise était destinée à l’Europe. Mais une fois les embarcations débusquées, elle est jetée en mer et dérive sur nos côtes. Cependant, dès 2019, on a retrouvé ce type de haschich dans toutes les wilayas du pays, parce que les voies d’acheminement ont changé, pour passer par la toute. Raison pour laquelle on trouve ce haschich partout.

Comment expliquer cette évolution ?

En 2014, l’industrie marocaine du haschich a connu une transformation importante. Il faut savoir que de 2003 à 2005, le Maroc a obtenu des fonds importants pour des cultures alternatives à celles du cannabis. Sous la pression des organismes onusiens de lutte contre la drogue, il a réduit de manière insignifiante les superficies de culture et en même temps, il s’est lancé dans la première étape de l’industrie du haschich puissant. Il a commencé par importer des semences hybrides. Il a tenté quelques expériences. Nous avons retrouvé la «mexicana» du Mexique, la «jamaïca» de la Jamaïque, la «pakistanaise» du Pakistan.

D’autres variétés ont également été testées, qu’on appelle localement «roumia» (étrangère), «gaouria» (européenne), «el hadjala» (la veuve) et «el khardala» (mélange). Toutes ces variétés hybrides ont été testées en remplacement de la variété traditionnelle, appelée «el beldia», «el adia», «magharibi», «lekdima», «dyalna» et toutes les autres variétés marocaines. C’est la «khardala» qui a donné le plus de résultats. Elle a permis aux cultivateurs de tripler leur production, tout en augmentant la puissance du haschich de 1 à 20%.

Cette variété est-elle typiquement marocaine, ou s’agit-il d’une semence importée pour la croiser avec la composante du haschich local ?

En fait, après l’échec des trois expériences avec la «mexicaine», «jamaïcaine» et la «pakistanaise», ils ont testé la «khardala », qui est une variété importée des Balkans. Il y a eu des croisements pour obtenir une plante génétiquement modifiée, la plus utilisée actuellement au Maroc. Cette variété a été saisie même à l’extrême est du pays.

Pour de telles modifications génétiques, ne faut-il pas des laboratoires ?

Pas besoin de laboratoires. Au Maroc, on teste les graines pour retenir celles qui assurent le rendement le plus important. Raison pour laquelle nous avons constaté que l’évolution de la teneur en TCH était linéaire jusqu’en 2018, puis avec l’introduction de la «khardala» à grande échelle, la production a explosé. Depuis cette année, nous avons constaté un pic non seulement en puissance du haschich mais aussi en quantités saisies.

Le Maroc a de tout temps été considéré comme le premier producteur de résine de cannabis, dont les revenus sont très importants pour son économie. Pourquoi s’est-il lancé dans la modification de cette herbe ?

Comme je l’ai expliqué, avec la collaboration des autorités marocaines, l’Onudc a pu élaborer trois enquêtes sur la production de résine de cannabis de 2003 à 2005. En 2003, la superficie consacrée à cette culture était de 134 000 ha. Ce qui était énorme. Avec la pression de l’Onudc, cette surface a été réduite, selon les autorités marocaines à 120 500 ha en 2004, et à 72 500 ha en 2005. Mais en 2006, le bureau de l’Onudc au Maroc a été fermé, par Rabat, sans aucune explication officielle.

Depuis, il n’y a plus de données officielles sur les espaces de culture de résine de cannabis. Mais il faut savoir que dans son rapport mondial sur la drogue pour l’année 2005, l’Onudc, affirmait que la production marocaine en haschich a atteint 1066 tonnes. Ce qui était déjà énorme. Raison pour laquelle on parle d’industrie du haschich au Maroc et non plus d’une industrie artisanale ou traditionnelle.

Toutes les organisations onusiennes et tous les organes chargés de la drogue, comme l’Onudc, ou l’OICS (organe international de contrôle des stupéfiants), présentent le Maroc comme premier producteur de haschich. Depuis 2010, il y a eu cette évolution dans l’industrialisation marocaine, ou plutôt de transformation du haschich par l’utilisation de variétés hybrides pour obtenir un haut rendement de la culture de cannabis.

Mais pas seulement. Le Maroc a adopté des techniques modernes d’irrigation pour satisfaire la demande plus importante en ressource hydrique par rapport à la variété traditionnelle, et de transformation de la plante de cannabis en haschich, c’est-à-dire en résine de cannabis, qui est connue sous les noms de «kif», «zetla», «chira», etc. Il faut savoir que tout comme la marijuana, le haschich est aussi un dérivé du cannabis. Durant ces dix dernières années, et après plusieurs expériences, nous savons que même la «khardala» est en train de connaître des tests pour la croiser avec d’autres variétés.

Faut-il s’attendre à une nouvelle variété encore plus puissante ?

Très possible. Nous savons déjà que la variété dite «gaouria» semble donner un rendement plus important que celui de la «khardala», qui, elle, permet déjà de tripler la production par rapport à la variété traditionnelle. Nous suivons de très près ces évolutions.

Ces productions sont-elles destinées à l’Europe ou à l’Algérie ?

Ces productions sont destinées au marché européen, mais aussi à l’Algérie, étant donné qu’elle est devenue un pays de consommation. Il fait savoir que le 1er pays qui saisit le plus de cannabis est l’Espagne, suivie de la France. L’Algérie occupe la 3e position. La raison est liée au prix du haschich. Ce dernier est plus cher en Europe qu’en Algérie. Le kilo de haschich coûte en France entre 3000 et 5000 euros, alors qu’en Algérie, il se vend entre 30 000 et 200 000 DA. Plus vous allez vers l’est du pays, plus le prix augmente. Lorsqu’on parle de 1000 tonnes saisies en 10 ans, cela veut dire que chaque année, 100 tonnes de haschich sont saisies. Ce qui est énorme.

Quelles conséquences peut avoir ce haschich hybride sur la santé des consommateurs ?

Les conséquences sont extrêmement graves. La modification opérée consiste à renforcer la teneur en THC pour rendre le haschich hybride plus addictif. Avec le cannabis traditionnel, il y a ce qu’on appelle l’ivresse cannabiloïque. C’est comme l’ivresse indue par une boisson alcoolisée. Cela provoque une sensation de planance, une sorte de séparation avec l’être. La personne se sent hors d’elle-même, ou en train de planer. Par contre, lorsqu’il y a une charge plus élevée, les sensations sont exacerbées. Ce qui était au début agréable, devient plus violent et percutant.

On ressent les mêmes sensations que celles suscitées par les drogues dures. Et s’il y a une dépendance physique et psychique qui s’installe, la personne ne peut plus arrêter la consommation du cannabis. L’addiction devient plus prolongée et plus puissante que chez une personne qui fume une moyenne de 2 à 3 joints de haschich traditionnel par jour. Les concentrations qui arrivent dès les premières bouffées sont plus importantes et parviennent rapidement dans le sang et le cerveau.

On parle de sensation ponctuelle, mais aussi d’effets chroniques qui s’installent définitivement. Les effets secondaires sont plus exacerbés et plus prononcés chez les personnes exposées au haschich à un âge jeune. Les études ont montré que la consommation par des sujets jeunes de cannabis hybride engendre 2 à 4 fois plus de problèmes de schizophrénie que celle du haschich traditionnel. Ce qui change totalement le protocole de désintoxication. Dans une toxicomanie très prononcée, le sevrage sera très difficile. 


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