Rejet des candidatures aux législatives du 12 juin



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Les notifications de rejet des dossiers adressées par les délégations de l’Autorité des élections aux candidats voulant briguer un siège à l’hémicycle de Zighoud-Youcef viennent brouiller les cartes après le satisfecit annoncé en grande pompe à l’issue du dépôt de leur candidature en prévision des législatives du 12 juin.

Des partis parmi les «dinosaures» du paysage politique ont misé sur le « rembourrage» de leurs listes, à l’image du FLN et du RND, pour maintenir, ad vitam aeternam et coûte que coûte, leur statut de «majorité parlementaire». Cependant, la «purge» opérée par les services de l’ANIE a faussé leurs calculs et provoqué de vives réactions.

La décantation n’a pas fait de quartier au sein des formations islamistes, lesquelles crient à une «injustice avérée», alors que les candidats indépendants semblent les moins touchés par la faux affûtée de l’ANIE. En tout cas, ce sont les dispositions de l’article 200 de la loi électorale qui font le plus grincer les dents, tant elles sont jugées «vastes» et «immesurables», conduisant, de facto, ces candidats aux couloirs des tribunaux administratifs.

Les rejets en masse des candidats des listes du Rassemblement national démocratique (RND) n’ont pas été du goût de sa direction, laquelle tente de se rattraper en actionnant l’option des recours.

«Nos listes ont été déposées dans les délais impartis et après une étude préalable par l’Autorité des élections et les parties compétentes. Certains de nos dossiers ont été rejetés dans plusieurs wilayas. Ce rejet a été motivé pour quelques candidats, cependant, nous estimons que le refus d’autres dossiers, au vu des textes juridiques et des dispositions de la Constitution, est illégal, et les motifs invoqués ne sont pas explicites comme l’exigent les dispositions de l’article 206 du code électoral», a indiqué au Jeune Indépendant le chargé de communication du RND, Safi Laarabi.

Rejet massif, une décision «politique» selon le RND

A en croire les assertions du cadre dirigeant du RND, nombre des cas de rejet sont une «décision politique et non juridique». Il affirme que plusieurs candidats ont pu avoir gain de cause après un recours engagé de suite auprès des tribunaux administratifs et des instances spécialisées.

«Notre parti est doté d’une commission juridique présidée par un juriste. Elle est censée examiner tous les dossiers au niveau central, et nos listes ont été vérifiées à l’effet de nous assurer de leur conformité à la loi organique n° 21-01. Jusqu’à mardi matin, nous avons appris que parmi quatre dossiers de candidature rejetés dans les circonscriptions électorales à l’étranger, trois ont été régularisés et réintroduits», a argué le même responsable. M. Laarabi considère «inexacte» l’interprétation de l’article 200 de la même loi, sur lequel se sont basés les services de l’Autorité des élections pour justifier le rejet des candidatures.

Des motifs «préjudiciables» pour la réputation du candidat

Le même sentiment de déception est constaté chez le Front de justice et de développement (FJD), dont le président, Abdellah Djaballah, estime que les législatives du 12 juin connaissent finalement les mêmes circonstances ayant marqué celles de 1997 et de 2002, et que certains des cas de rejet de candidature participent de «la pure injustice».

«Il y a eu plusieurs cas de rejet dans nos listes et ces décisions nous rappellent carrément l’époque de 1997 et de 2002. Ces pratiques sont en porte-à-faux d’un régime politique qui prône, prétendument, la démocratie et démontre la mentalité policière prévalant et la faiblesse de l’Autorité des élections», s’est insurgé le patron du parti islamiste.

Interrogé par le Jeune Indépendant sur la nature des motifs cités, M. Djaballah a évoqué, en substance, le cas des candidats ayant été pénalisés en raison de membres de leurs familles assassinés lors des évènements tragiques des années 1990, affirmant que «ces candidats étaient alors très jeunes et ne sont donc pas responsables de ce qui s’est passé».

Pour le Mouvement de la société pour la paix (MSP), l’effet du criblage des listes de candidature a été moins «dévastant». Ayant raflé le plus grand nombre de parrainages, la formation politique d’Abderrazak Makri considère que le «peu» de cas de rejet seront réexaminés «méticuleusement», notamment les accusations «politiques» et celles liées à «la corruption».

«Nous n’avons pas enregistré beaucoup de cas de rejet de candidature parmi nos listes. Cependant, nous sommes en train de traiter la question des recours en étudiant les rejets cas par cas, et nous avons pu constater des injustices», a déclaré M. Makri, qualifiant l’art. 200 dans son alinéa 7 de «vaste» et «immesurable».

«Sur quelle base accuse-t-on un candidat d’être impliqué dans des affaires de corruption sans preuve concrète et jugement judiciaire. De telles accusations sont inadmissibles et préjudiciables pour l’avenir politique du candidat», s’est indigné le chef du parti islamiste.

Les listes d’attente au secours des indépendants

Quant aux listes indépendantes, les dossiers des candidats semblent être passés, pour la plupart, au peigne fin afin d’éliminer, au maximum, les candidatures «douteuses», si ce n’est des lacunes d’ordre administratif qui auraient fait tomber des noms de certaines listes.

A Oran, une source a fait savoir au Jeune Indépendant que des candidats libres ont vu leurs dossiers rejetés pour des motifs liés à leur situation vis-vis de l’administration fiscale ou encore des anomalies relevées concernant les matricules des cartes de vote. Idem pour les futurs députés indépendants de la wilaya de Batna.

«Concernant notre liste “Les compétences des Aurès”, nous avons reçu deux notifications de rejet où sont mentionnés des motifs administratifs. L’un des deux candidats a été sitôt remplacé par un autre de la liste d’attente, tandis qu’une candidate devrait régulariser le

matricule de sa carte de vote en vue d’un recours au niveau du tribunal administratif de la wilaya de Batna», a affirmé au Jeune Indépendant Redouane Bouhidel, notant que les tribunaux administratifs sont, d’ores et déjà, pris d’assaut, députation oblige !

L’alinéa 7 de l’art. 200, un fourre-tout !

D’un point de vue juridique, le spécialiste en droit administratif et constitutionnel et enseignant à l’université de Khenchela, Yacine Goutel, livre au Jeune Indépendant une lecture sur les rejets notifiés et les réactions des partis.

«Le rejet des candidatures émis par les délégations de l’ANIE est une décision administrative susceptible de recours et devrait être dûment et explicitement motivé en vertu de l’art. 206 de l’ordonnance n°21-01 portant loi organique relative au régime électoral. Les candidats peuvent, le cas échéant, introduire leurs recours dans un délai n’excédant pas trois jours, à partir de la date de notification, et ce au niveau des tribunaux administratifs territorialement compétents et au niveau du tribunal administratif d’Alger pour les candidats qui se présentent dans les circonscriptions électorales à l’étranger», a expliqué le spécialiste.

Selon le constitutionnaliste, les réactions des partis qui se sentent «lésés» sont «politiques» et la décision de rejet est justifiée par un substrat juridique. Il a toutefois souligné que le rejet de candidature ne doit pas être considéré comme une «purge ciblant des parties précises», mais plutôt comme un mécanisme de régulation et de moralisation de la vie politique. Il a cependant confirmé que les dispositions de l’alinéa 7 de l’art. 200 «sont élastiques» tant il est difficile de les vérifier réellement.

«Ces candidats sont de futurs hommes d’Etat. Des enquêtes judiciaires et sécuritaires s’imposent et demeurent le filtre fiable pour s’assurer de la conformité de toute candidature aux conditions requises pour la députation», a-t-il appuyé.

Pour conclure, M. Goutel a tenu à préciser que l’application de la loi électorale, fraîchement promulguée, permettra de mieux cerner les différents vides juridiques et de les combler pour que le processus électoral soit débarrassé de toutes les insuffisances.


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