Un vote discret dans la capitale



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Samedi 12 juin 2021. Il est un peu plus de 10h. Il fait chaud. Humide surtout. Nous sommes au CEM Mohamed Bouras, à Bab J’did, dans la Haute Casbah. L’établissement jouxte la magnifique Dar Essoltane, la Citadelle d’Alger, qui est toujours en restauration.

Des agents de police scrutent notre ordre de mission, notre badge spécial élections et notre carte professionnelle, passent un coup de fil à leur hiérarchie, avant de nous inviter à entrer.

A l’intérieur de la vieille école, très peu de votants. Il y a plus d’agents badgés que d’électeurs. Youcef, le chef de centre, nous donne seulement le chiffre des inscrits : 3693 répartis sur 16 bureaux, hommes et femmes. Nous faisons le tour de quelques bureaux de vote pour prendre la température.

Au bureau 49, au premier étage, réservé aux femmes, il n’y avait que 3 enveloppes dans l’urne à 10h. Sur les tables s’étalaient les 36 listes concourant pour les quelque 34 sièges (sur 407) attribués à la capitale. Une dame dans la soixantaine vient de glisser son bulletin dans l’urne. «Je pense que c’est important de voter. On ne peut pas rester sans gouvernement et sans institutions», dit-elle.

Questionnée sur sa préférence, entre partis ou indépendants, elle n’hésite pas à nous faire part de son choix. «Je trouve qu’il y a de la qualité dans ces listes. Moi, j’ai voté FLN. C’est ma famille politique. Et chacun est libre d’exprimer son choix», lance-t-elle.

«La démocratie, ça se construit»

A quelques encablures de là, à l’extrémité du boulevard de la Victoire, nous faisons une incursion au CEM Debbih Cherif. Un portrait du chahid mort au combat le 26 août 1957 trône fièrement sur un mur bordant la cour. Là aussi, pas de bousculade devant les urnes. Le chef de centre précise que les 9 bureaux de vote qu’il chapeaute comptent environ 2500 inscrits, hommes et femmes.

Au sondage de 10h, il a été enregistré 234 votants dans ce CEM, soit un peu plus de 9%. «C’est à peu près la même cadence qu’aux précédents scrutins», souligne le chef de centre. Notre hôte insiste sur le respect du protocole anti-Covid. «Nous avons tout ce qu’il faut : bavettes, gel hydroalcoolique, savon, gants, lingettes… et nous veillons au strict respect des mesures sanitaires», dit-il.

Nous faisons le tour de quelques bureaux. Du premier étage, on voit la mer. Le paysage est splendide. Nous nous arrêtons devant le bureau 54, un bureau hommes. Celui-ci a enregistré aux premières heures de la matinée (jusqu’à 10h) 34 votants sur 248. Au bureau 55, dédié aux femmes, il y a eu seulement 9 électrices qui se sont présentées sur les 377 inscrites.

Dans le couloir extérieur, quelques représentants de partis veillent au grain. «Pour l’instant, c’est tranquille», glisse un représentant du parti Front de l’Algérie nouvelle. Un jeune électeur s’essuie l’index de la main droite avec une lingette. Il s’abstient de tout commentaire. Un autre votant, un monsieur très élégant, se prête, en revanche, volontiers à nos questions.

Ammi Abderrahmane a 68 ans. C’est un ancien cadre gestionnaire à la retraite qui reste profondément attaché à sa Casbah matricielle. Pour lui, le vote représente la voie la plus raisonnable pour faire bouger ce pays. «La démocratie, ça se construit», professe-t-il d’une voix sereine. «Je ne suis pas contre le hirak mais pourquoi il ne désigne pas de représentants ? Quelle est la solution ? Que les partisans du hirak nous disent la procédure à suivre. On ne peut pas rester comme ça. Il faut que les choses avancent. Il faut construire ce pays», préconise l’ancien gestionnaire.

A la faveur de notre échange sympathique, Ammi Abderrahmane nous gratifie d’une visite guidée dans le dédale de La Casbah. Un parcours où alternent douirate tombant en ruines et vestiges chargés d’histoire. Notre généreux guide nous accompagne jusqu’à un centre de vote de la Basse Casbah, près de Zoudj Ayoune, avant de nous quitter.

«On s’est trop mis en retrait»

Nous voici au centre Malek Bennabi. «Patientez un peu, le chef de centre ne va pas tarder», nous lance un agent d’accueil. Nous profitons de ce laps de temps pour recueillir les impressions d’un jeune monsieur qui sortait du centre. Il s’avère qu’il est lui-même candidat. Son nom : Fatah Lounès.

Il a 36 ans, il est juriste de formation et est aujourd’hui inspecteur principal des impôts. Il se présente sous la bannière du Front de la justice et du développement de Abdallah Djaballah. «Je suis ici pour voir comment ça se passe. J’ai fait le tour de plusieurs centres de vote», confie-t-il, précisant qu’en ce qui le concerne, il avait voté au centre Debbih Cherif, où nous nous trouvions précédemment, et déclarant qu’il était lui aussi un enfant de La Casbah. «Pour l’instant, l’affluence est moyenne», juge le jeune candidat. «Et puis j’ai remarqué que la surveillance des partis est faible. Après, il ne faut pas se plaindre en cas de fraude», observe-t-il.

«Il ne faut pas être naïf, ce scrutin ne va pas changer grand-chose. Mais c’est le début du changement», souligne le juriste. Et de poursuivre : «Je trouve que la donne a changé. Il y a des indices encourageants, notamment grâce à la nouvelle loi électorale qui a supprimé la tête de liste. La nouvelle règle du cochage permet plus d’ouverture. D’ailleurs, c’est ça qui m’a incité à me présenter. C’est la première fois que je le fais et je l’ai fait parce que j’ai estimé que le temps est venu de prendre nos responsabilités. On s’est trop mis en retrait.»

Près du même centre, bref échange avec Ibrahim, un citoyen algéro-tunisien qui a monté une entreprise de bâtiment en Algérie. «J’ai voulu voter, mais on n’a pas trouvé mon nom. Honnêtement, mon souci est d’obtenir un certificat de résidence», avoue-t-il.

«Je suis installé depuis plusieurs années maintenant en Algérie et je veux investir ici», clame Ibrahim en mettant l’accent sur les liens qui unissent l’Algérie et la Tunisie. D’ailleurs, notre ami n’était pas mécontent du résultat de la confrontation de ce vendredi entre les deux pays, à Tunis. «De toute façon, quel que soit le score, j’étais gagnant», sourit-il.

«Ramenez une autorisation de l’ANIE»

11h40. Nous poursuivons notre déambulation avant de nous arrêter au lycée Emir Abdelkader, à Bab El Oued. C’est l’un des plus importants centres de vote de la capitale.

Agents de police et vigiles passent nos papiers au peigne fin, prennent en photo notre ordre de mission, et au bout d’une vingtaine de minutes, le chef de centre se désole de ne pas pouvoir nous laisser faire notre travail à l’intérieur de l’imposant lycée. «Allah ghaleb, ce sont les instructions. Je viens d’avoir le représentant de l’ANIE au téléphone. Les consignes sont formelles : il faut une autorisation de l’ANIE pour les journalistes», nous dit-il d’un air sincèrement navré. Nous n’insistons pas et reprenons notre bâton de pèlerin.

Nous flânons du côté d’El Kettani et la plage Ermila. Des parasols, des tables et des chaises en plastique enserrent la plage populaire de Bab El Oued. Comme une brise de farniente et de douceur estivale souffle sur les lieux. Des gosses batifolent et se baignent allègrement sous une chaleur moite. L’été semble avoir pris officiellement ses quartiers par ici.

A quelques centaines de mètres plus bas se dressent les chapiteaux du vaccinodrome installé dans le cadre de la campagne nationale de vaccination anti-Covid. Nous gagnons l’autre rive du boulevard Mira, avant de nous engouffrer dans une ruelle et nous voici devant l’école l’Unité africaine.

Le centre de vote compte 10 bureaux. A midi, il a enregistré 130 votants. «L’opération se déroule bien. On n’a enregistré aucun incident. RAS», résume le chef de centre. En sortant de là, nous bavardons un peu avec trois hommes qui tenaient des drapeaux algériens. Eux ont fait le choix de ne pas voter. «Ces candidats sont pour la plupart des incompétents», charge l’un d’eux, un quadragénaire au visage jovial. «Je ne vois vraiment pas qu’est-ce que ce vote va changer.»

L’homme précise toutefois qu’il n’est pas contre Tebboune. «Je le reconnais en tant que Président élu de façon tout à fait légale, et peut-être que c’est l’homme de la situation, qui sait ? Il faut lui laisser le temps de travailler, après, on le jugera sur pièce», argue-t-il.

Nous bifurquons à gauche quelques mètres plus loin et empruntons les grands escaliers de la rue Fodhil Benzine. Des graffitis anti-élections hérités probablement de la période de l’élection explosive du «12/12» barrent les murs. «Makache intikhabate maâ el îssabate» (Pas d’élections avec la bande), tonne l’un d’eux. Une autre inscription proclame : «Idrab âme !» (Grève générale).

Nous débouchons sur la rue Brahim Gharafa et nous nous dirigeons vers un autre centre de vote : celui de l’école Malek Ben Rabia, rue Hattab Bey Slimane. Il est 13h15. Le chef de centre nous apprend que l’établissement compte 2917 inscrits répartis sur 9 bureaux, dont 1793 hommes et 1124 femmes. A midi, il a été recensé 215 votants sur, soit 7,37%.

Une dame dans les 37-38 ans, technicienne supérieure en informatique et cadre administrative dans une université, qui était venue pour voter, déclare : «Pour moi, le vote est d’abord un droit. C’est aussi un devoir. On le fait pour notre pays. J’ai la conviction que cela peut contribuer de manière efficace au changement. Je pense que le changement doit se faire étape par étape.»

La dame confie avoir été séduite par certaines listes «surtout les indépendants». «Il y a tout particulièrement une liste qui m’a interpellée. J’ai vu que c’étaient des jeunes, des gens compétents. Il faut leur donner leur chance. Cela contribuera au changement du personnel politique.»

«Le système ne partira pas avec des élections»

A quelques encablures de là, à la rue des Frères Amrane, petite rue parallèle à la rue Mohand Ouali Ichalalène (ex-Jean Jaurès), discussion passionnante avec un brillant jeune homme de 21 ans, Akram, qui, pour son âge, a déjà une expérience et un vécu assez impressionnants.

Etudiant en sciences de gestion, il a été déclarant en douane et a ouvert à un moment une pizzeria, mais il a dû mettre la clé sous la porte faute de fonds. «Bien sûr que je n’ai pas voté. Ce gens sont malhonnêtes. Et puis, ce n’est pas avec ça qu’on fera partir ce système. Même avec une action armée (celle des années 1990, ndlr), il n’a pas cédé, alors si tu espères le faire partir avec des élections…» argumente Akram.

Le jeune homme affirme qu’au tout début du mouvement du 22-Février, il avait foi dans le hirak, «mais plus maintenant». «Le tournant du match, ça été l’élection présidentielle du 12 décembre 2019. Dès lors que le régime a réussi à tenir son élection, il a enclenché le processus de sa reconstruction. Il a eu tout le temps de reprendre des forces jusqu’à se régénérer. Pendant ce temps, le hirak n’a rien fait pour s’organiser. Les gens sortaient pour se défouler, pour draguer les filles… Je peux même vous dire que 40% tout au plus des gens qui manifestaient savaient pourquoi ils le faisaient. Le reste, c’était des suiveurs. On a vu les vraies révolutions comment elles ont été menées, celles qui ont été dirigées par Castro, par Che Guevara… On a besoin de chefs de cette stature.»

En parlant de leadership, Akram ne cache pas sa sympathie pour Rachid Nekkaz. «Lui, je l’admire parce qu’il a tout sacrifié pour sa cause. C’est quelqu’un qui est riche, il n’a pas besoin de voler. Et puis, il vivait comme un prince en France et il est venu pour faire des choses ici. En 2014, il a laissé tomber la nationalité française. Je ne pense pas qu’un Amir DZ ou un Zitout laisseraient tomber leur nationalité et leur cocon douillet à l’étranger pour venir se battre ici, c’est pour ça que je ne leur ferai jamais confiance. Si tu as quelque chose à dire, viens le dire ici !» Aujourd’hui, Akram n’a qu’un rêve : partir. «Je suis en train de préparer ma harga, je sauterai dans le premier ‘‘boti’’, je m’en fous. Ici, on tue la belle personne qu’il y a en toi. On tue ta naïveté, ta bonté, ta sincérité. On te tue socialement, affectivement, sentimentalement, sur tous les plans.»

13h35. Ecole des Mouahiddine, à Alger-Centre. L’établissement est niché rue Mohamed Idris Bey, près de la rue Larbi Ben M’hidi. Le centre de vote compte 8 bureaux hommes et 5 bureaux femmes. Côté hommes, à 13h, le décompte enregistré faisait état de 52 votants. Côté femmes, il y avait «moins de 2%», nous dit le chef de centre.

Il n’y a pas plus de monde au CEM Pasteur. Le très aimable responsable de ce centre réservé exclusivement aux hommes explique que l’établissement compte quelque 8000 électeurs (dont le wali d’Alger), répartis sur 18 bureaux de vote. «A 13h, nous avons enregistré 138 votants», affirme-t-il. Soit moins de 2%. En homme d’expérience, le chef de centre gage toutefois que «sans doute, il y aura d’autres vagues à partir de 16-17h».


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