C’est si peu de dire…



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Le Covid est toujours là ; les citoyens baissent la garde, comme si nous étions en situation normale. Il n’y a presque plus de figues fraîches. Je n’entends plus le chant des cigales. J’espère que ce n’est pas un effet de mes oreilles. La chaleur diminue, enfin. Mais le taux d’humidité, lui, augmente ; je coule de partout. Si on ajoute le masque, c’est la totale. J’ai l’impression de respirer de mes oreilles. Inconfortable comme sensation ! Une autre saison s’installe. Que nous réserve-t-elle ? J’ai appris à me méfier des saisons qui font leurs gamineries. C’est pour bientôt la rentrée scolaire. Un autre cycle se met en place dans une indifférence totale. Je ne parle même pas d’université ; une année scolaire en chevauche une autre, au point où nos étudiants ne savent plus à quels examens se fier. 
Bebel est mort. Oui, c’est Belmondo. Jean Paul de son prénom, le fils à son père, Paul, né à Alger. Je précise, parce qu’il ne faut pas confondre avec son fils Paul. Le communiqué précise qu’il est mort tranquillement. Oui, comme je vous le dis, il y a des morts tranquilles. Et des morts intranquilles ; Intranquille existe, mon PC ne le reconnaît pas ; j’ai vérifié dans Google ; puis, j’ai le droit de proposer un néologisme. Bebel est mort de sa belle mort. Bebel est un acteur de ma génération. Bebel a vécu mille vies. Bebel a bouffé le temps des deux bouts. Bebel a fait les 400 coups. Bebel est un acteur génial. Bebel a reçu les hommages de ses admirateurs. Surtout de ses amis comédiens. Delon n’est plus que l’ombre de lui-même. Bientôt, il ne parlera plus à la troisième personne. Pierre Richard, le bien-nommé, traîne sa peau à l’aide de béquilles. Ne vous en faites pas, ils mourront d’une belle mort. Ils ont les moyens de leur trépas. Là-bas, ils meurent tous d’une belle mort. Comme pour nous culpabiliser, ici. Du reste, je me sens dérangé par cet oxymore, «une belle mort». 
La mort n’est pas belle, n’est-ce pas ? C’est la fin définitive de quelque chose ; il s’agit de la vie, naturellement. Je ne sais plus qui disait, «Ah ! Mourir, la belle affaire !» Si je dis ça, c’est parce que, récemment, on a perdu notre «Bebel national». Oui, Omar Guendouz est mort de sa mort ; personne ne nous dit rien ; est-il mort tranquille ? A-t-il vécu mille vies ? A-t-il bouffé l’existence des deux bouts ? Je n’en sais rien. Personne ne nous dit rien. Chez nous, on est pressé d’enterrer nos morts, comme si on était pressé de les voir dans le trou. A-t-il eu un hommage national ? Ça, je peux répondre. Non, mille fois non ! Bebel l’a eu. D’Ormesson l’a eu. Kateb Yacine n’a pas eu un hommage à l’image de sa grandeur. Ni Mohamed Dib. On était pressé de les voir quitter la scène. Ni El Anka. Halliday, lui, a eu les honneurs de sa nation. Omar Guendouz a quitté la scène sur la pointe des pieds ; il avait peur de déranger. «Pardon, semblent dire nos grands.» Rappelez-vous de la bouille d’Omar. Sa façon de parler. De marcher. De rire. De bouger. De gesticuler. C’est l’Algérien dans toute sa dimension. Je peux citer encore des noms. À quoi bon ? Ils n’ont pas besoin de nous, désormais. Nous avons besoin d’eux, par contre. Omar Guendouz, et tous les autres, ont eu dans mon cœur aboulique un enterrement national. Je vous laisse imaginer la majesté de cet enterrement. 
J’ai cru comprendre que la lumière ne se fait que sur les tombes ; drôle d’affirmation. Je n’ai jamais admis une telle logique. C’est un peu le dicton populaire de la datte et du régime de datte. Si je ne mange pas cette datte de mon vivant, je ne vois en quoi je vais en profiter à ma mort. C’est du kif au  pareil. Si je ne profite pas de la lumière de mon vivant, que vais-je en faire à ma mort ; d’autant que dans la tombe, le noir est total, définitif.
Ça doit être particulier à notre pays. Une fois décédé, l’être est paré de toutes les vertus. On lui met des fagots de fleurs ; on dit de lui que du bien ; on en fait un être infaillible ; on fait en sorte de tisser autour de lui une légende. Il n’en a plus besoin. Il est parti dans un monde, dit meilleur. 
Mais quand il s’agit d’un être versé dans les arts et métiers artistiques, il s’agit d’un autre phénomène. Parce que ces gens là « font » l’Algérie par leurs écrits, leurs prestations cinématographiques, leurs tableaux de peinture, leurs œuvres musicales… En fait, ils sont l’Algérie. Un étranger reconnaît notre pays par ses hommes de culture. Si on dit Kateb Yacine, on lui oppose immédiatement Nedjma, une œuvre qui survit à son auteur. Si on dit musique du film La scoumoune avec Jean Gabin, on lui oppose immédiatement Mohamed Iguerbouchene. Si on cite Mohamed Dib, on pensera automatiquement à l’Algérie. Si on évoque la chanson Ava Inouva, on ne cherchera pas loin, elle est d’Idir. C’est comme cela qu’on vend le pays à l’étranger.
De la même manière, si on parle du Hoggar ou du Tassili, il sera question que de l’Algérie. Si on parle du pétrole et du gaz, il sera question de notre Sahara. Ce travail immatériel et matériel renseigne sur l’état d’un pays. De sa bonne santé culturelle. Oui, qu’en est-il justement de cette santé ? Nous n’avons plus de salles de cinéma ni de théâtre. Pardon, nous n’avons plus de films ni de pièces de théâtre. Les maisons de la culture, quelle trouvaille d’appellation, quand elles ne tournent pas  autour du folklore, elles brassent du vent. Avon-nous un prix équivalent au prix Goncourt ? Avons-nous un festival du cinéma digne de ce nom ? Avons-nous un prix équivalent aux Victoires de la musique ? Nous avons eu, il y a un paquet d’années un prix à Cannes pour le film de Mohamed Lakhdar Hamina, puis plus rien !
Le pays se vide de son potentiel d’année en année. Le pays se contente de survivre culturellement de son passé. Un passé maigre, il faut le reconnaître. Nos rues sont des aires d’errance du sur-place et nos maisons des dortoirs, où nous laissons nos fatigues de la journée. Autant dire que l’Algérien est soumis à tous les vents culturels. Décidément, nous n’avons plus d’âme ! À quoi doit-on se référer en étant à l’étranger ? Localement, je le sais ; on brille par nos nerfs, nos ordures, nos crachats, nos conduites à l’emporte-pièce et notre haine de la chose commune, le bien commun.
Laissons dire Jean Sénac : «Je n’écris pas de poème, j’oublie la douce odeur des mots/Ce soir toute la terre empeste/Je vois l’homme frappé dans sa paisible nuit/Je crie, je n’écris pas.»
Y. M.


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