Je vais devoir en changer. Le mien est parti

Ils s’en vont par centaines. Plus rien ne semble pouvoir les retenir. Peut-on reprocher à quelqu’un d’aspirer à vivre mieux ? Non ! Il y en a tellement qui gardent un pied ici et un autre là-bas ! Je vais devoir me chercher un autre ophtalmo, parce que le mien s’est fait la malle avec femme et enfants. Je sais que d’autres compétences dans cette spécialité exercent encore au pays. Du coup, connaissant le mien en lequel j’avais une confiance sans limites, je me vois contrainte de m’en trouver un autre, de reconstruire une relation avec cet autre… De repartir à zéro, quoi ! Jusqu’à quand ? Je me pose la question parce que s’il s’amuse à son tour à tenter d’émigrer légalement comme l’a fait son prédécesseur, je ne suis pas sortie de l’auberge. J’ai le droit de m’inquiéter. C’est le seul sentiment que l’on ne peut pas contrôler en moi. Même si je sais qu’en matière d’inquiétude, là-haut, on se fiche un peu et même beaucoup de ce que l’on peut ressentir quand on n’a ni les moyens personnels ni ceux de l’État d’aller se soigner ailleurs. Mon médecin n’a pas ramé pour être recruté à l’autre bout du monde. Il a décroché son job dans sa spécialité et au poste qu’il convoitait. Avant même d’embarquer sa petite famille. Il aurait bien aimé ne pas émigrer, mais il l’a fait. Quand on fait des enfants, on se doit de leur assurer un avenir décent, qui leur paraisse prometteur. On rêve pour eux d’une vie moins compromise. Chaque argument vaut le coup d’être exposé, débattu et défendu. Je n’oublierai jamais cette phrase lancée, à la cantonade, par des amis, au début des années 90. Quand le terrorisme islamiste commençait à cibler l’élite algérienne avant de frapper aveuglément pour asseoir une hégémonie qu’il pensait à portée de sabre, l’un d’eux a prononcé ces mots qui m’ont fait mieux admettre que l’on pouvait effectivement se mettre à l’abri ailleurs et se faire adopter par autrui. «La terre est vaste et elle est à toutes et à tous. Ton pays est là où tu te sens bien. Il suffit de t’y construire de nouveaux repères pour reprendre goût à la vie, t’y enraciner et fantasmer sur l’avenir que tu te plairas à concrétiser.»     
M. B.