Il était lié à l’Algérie

Décès de l’historien Hartmut Elsenhans



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Il émargera à jamais au rang des historiens prestigieux qui, par la qualité de leurs travaux originaux et la richesse de leurs informations, ont cultivé avec brio le savoir académique sur la guerre d’indépendance algérienne. Le professeur allemand Hartmut Elsenhans vient de tirer sa révérence à la suite d’une longue maladie. Il avait 83 ans.

C’est la revue « NAQD » fondée et dirigée par l’historien Daho Djerbal qui l’a annoncé sur les réseaux sociaux. Les chemins de Hartmut Elsenhans et de Daho Djerbal se sont rencontrés en de multiples occasions sur le front de la recherche et la plume historienne de l’Allemand était très prisée par le comité éditorial de la revue algérienne d’Études et de Critique sociale.

Du reste, à quelques jours avant son décès, Hartmut Elsenhans — bien que soufrant — promettait à Daho Djerbal un article avec la qualité et la pertinence qui ont toujours été les siennes : une ‘’analyse systématique des sondages d’opinion de l’IFOP’’, enquêtes réalisées durant la guerre qui démontrent, indicateurs et motivations à l’appui, ‘’le refus de la majorité des Français d’accepter l’intégration et l’assimilation des Algériens dans la constitution française’’, précise « NAQD » dans un émouvant texte nécrologique.

‘’La revue NAQD tient à rendre hommage à l’historien, au politologue et à l’économiste allemand ami de l’Algérie. L’auteur et académicien éminent a consacré la plus importante partie de sa longue carrière à des travaux de recherche et à des publications sur la lutte de libération de l’Algérie colonisée ainsi qu’aux politiques de développement des gouvernements successifs menées depuis l’indépendance du pays’’.

Né en octobre 1941 à Stuttgart, Hartmut Elsenhans a bouclé, en 1967, un premier parcours universitaire avec un diplôme en sciences politiques à la Freie Universität (Université Libre) de Berlin. Il poursuit son cycle d’études supérieures à Paris sous la direction de l’historien et politologue franco-allemand Alfred Grosser.

Le professeur était liée à l’Algérie par une ‘’relation exceptionnelle’’, selon le professeur Rachid Ouaissa qui l’avait connu à l’université publique de Marbourg (Allemagne). En 2018, pour les besoins d’un numéro spécial « Guerre de libération et voie algérienne de développement », la revue « NAQD » avait invité Rachid Ouaissa à portraiturer Hartmut Elsenhans et raconter — par le menu détail — ses rapports avec l’Algérie contemporaine.

Atrocités de la deuxième guerre mondiale

Parlant de son collègue en connaissance de cause, Rachid Ouaissa y évoque le séjour du jeune Hartmut dans une famille parisienne pro ‘’Algérie française’’. C’était en 1959 dans le cadre d’échange scolaire. ‘’Il garda en mémoire les discussions des dîners de dimanche de cette petite bourgeoisie française.

Le jeune allemand de 17 ans, dont la famille a été marquée par les atrocités de la Deuxième Guerre mondiale, se rendit compte des rôles similaires de la petite bourgeoisie comme cheval de bataille du colonialisme et du Nazisme’’, précise Rachid Ouaissa qui dirige le département de Politique Moyen-orientale au Centre d’Etudes sur le Moyen Orient (université de Marbourg et officie comme co-directeur au Centre Merian des Études Avancées au Maghreb (Tunis).

Hartmut Elsenhans a mis à profit son cycle d’études supérieures à Paris (1967-1970) sous la tutelle pédagogique d’Alfred Grosser pour multiplier les interviews avec beaucoup d’acteurs politiques, civils et militaires français. Selon Rachid Ouaissa, cette moisson avait servi ‘’de base empirique’’ pour sa thèse de doctorat intitulée : « Frankreichs Algerienkrieg 1954-1962.

Entkolonisierungsversuch einer kapitalistischen Metropole. Zum Zusammenbruch der Kolonialreiche » ou « La guerre française en Algérie. Essai de décolonisation d’une métropole capitaliste. Sur l’écroulement des empires coloniaux’’. Publiée en 1974 à Munich (Allemagne de l’Ouest avant la réunification), la thèse a attendu 26 ans avant d’être traduite en français et mise à la disposition d’un lectorat francophone.

Économiste de formation, enseignant à la Sorbonne et fondateur des Éditions Publisud, Abdelkader Sid Ahmed a choisi de le faire en dépit du volume du manuscrit (1071 pages).

À peine sorti en librairie sous le titre de « La guerre d’Algérie 1954-1962 » (sous titré « La transition d’une France à l’autre. Le passage de la IVe à la Ve République »), le livre à été salué par la critique et la communauté historienne à coup de superlatifs.

Doyen des historiens à pied d’œuvre dans le registre de la guerre d’Algérie et référence en la matière, le professeur Charles-Robert Ageron a fait valoir une ‘’source historique exceptionnelle’’. En achevant la lecture du volumineux ouvrage avec ses yeux de professeur exigeant, Ageron l’a recommandé aux ‘’chercheurs avertis’’ et attiré leur attention sur sa qualité en terme de savoir académique : ‘’un livre d’une ampleur exceptionnelle’’, qui plus est introduit par ‘’la lumineuse préface de Gilbert Meynier’’.

Un livre occulté en France

Organisateur, en 2006, d’un mémorable colloque — « Pour une histoire critique et citoyenne
Le cas de l’histoire franco-algérienne » — sous la bannière de l’École normale supérieure de Lyon, Gilbert Meynier avait profité de cette tribune académique — 83 historiens conférenciers au rang desquels Ageron et Elsenhans — pour saluer le travail de ce dernier.

‘’Il n’est jamais trop tard pour signaler un grand livre, même si celui-ci a été publié en français à Paris il y a un peu plus de cinq ans. Si l’on se doit d’en parler aujourd’hui un peu longuement, c’est pour rendre justice à un ouvrage qui aurait dû faire la une du Monde des livres, ou, à défaut, au moins des périodiques spécialisés.

Or, il n’en a rien été. Ce livre, scandaleusement, n’a pratiquement pas été signalé en France alors que tout le monde connaît Hartmut Elsenhans non seulement en Allemagne, mais dans le monde anglo-saxon ou encore en Inde et au Pakistan : la guerre de 1954-1962 serait-elle le monopole et des Français et des Algériens ? Ou bien le fait de n’être pas introduit dans le PAP (Paysage audiovisuel parisien) serait-il, à l’heure de l’Europe, dans notre république chauvine et jacobine, encore, un obstacle insurmontable ? (…) Il aura fallu attendre vingt-cinq ans pour qu’il soit traduit et proposé au public francophone, et encore parce que l’auteur a largement dû mettre de sa poche pour financer la traduction’’.

Dans son hommage, la revue « NAQD » pointe cette indifférence française et également algérienne : ‘’L’approche qui traverse l’œuvre du professeur Elsenhans a rencontré pendant longtemps une sorte de conspiration du silence dans les milieux académiques français ainsi que dans ceux des intellectuels algériens, de gauche comme de droite.

La série de questions qu’Hartmut Elsenhans pose nous éclaire sur cette approche « non conventionnelle » d’aborder la relation France-Algérie au regard des plans stratégiques français et des tentatives d’adaptation de la partie algérienne du temps colonial au post-colonial’’. Le professeur allemand ne s’est pas contenté d’écrire sur la seule guerre d’indépendance algérienne.

Dans ses essais d’économie politique consacrés à la politique de développement de l’Algérie indépendante, ‘’son regard critique n’a pas toujours rencontré une bienveillante attention. Loin s’en faut’’, note « NAQD ». Et la revue de préciser : ‘’Pour ce qui est des choix économiques des premiers gouvernements du pays, l’auteur met l’accent sur les tendances bureaucratiques autoritaires puis sur le glissement vers une économie de rente et la formation d’une classe-Etat capitaliste rentière’’.

Désireux de partager son savoir académique avec l’Algérie et les Algériens, le professeur Hartmut Elsenhans intervenait régulièrement sous forme de contributions avec les « Cahiers du CREAD », « Insaniyat » (la revue du CRASC) et « NAQD ». Au gré des colloques et des conferences, il avait également séjourné à plusieurs en Algérie. En 2012, il était au rang des participants à un colloque. Il avait présenté une ‘’synthèse de sa vision personnelle du conflit’’.

La teneur de sa communication n’a pas échappé à l’historien français Guy Pervillé qui s’en est emparé pour saluer — a posteriori — le travail du natif de Stuttgart. ‘’Alors qu’en France, la plupart des historiens encore impossible (en 1974) d’étudier scientifiquement un grand conflit moins de cinquante ans après sa fin, Hartmut Elsenhans avait donné un remarquable exemple d’histoire immédiate ou presque immédiate, fondée sur l’exploitation d’une bibliographie de livres et de livres presque exhaustive, et sur des entretiens avec de nombreux acteurs des événements (…)

Sa thèse monumentale démontre, non seulement la puissance de travail exceptionnelle de son auteur, mais aussi un engagement personnel qu’il convient de définir. Hartmut Elsenhans se veut impartial dans la prise en compte de toutes les sources sans exclusive, mais aussi engagé dans ses interprétations, fortement marquées par un économisme marxiste’’.


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