Entre 2019 et 2022, ce sont 228 féminicides de tous types qui ont été recensés, soit en moyenne quatre à cinq féminicides par mois. C’est ce qu’a indiqué Wiame Awras, corédactrice de l’ouvrage intitulé « Féminicides en Algérie 2019-2022 : rapport sur les meurtres de femmes et de filles », présenté, samedi après-midi, au siège du Réseau Wassila à Alger.
Publié aux éditions Motif, cet ouvrage est le fruit de quatre années d’un travail de recensement des féminoïdes, de sensibilisation et d’analyse effectuées quotidiennement par le collectif Féminicides Algérie. Wiame Awras, membre du collectif, a tenu à préciser que depuis le 1er janvier et jusqu’au 25 novembre 2023, 33 autres féminicides ont été recensés, ce qui fait un total de 261 féminicides depuis 2019.
A propos de l’ouvrage qui est disponible depuis hier dans plusieurs librairies de la capitale et sera bientôt distribué dans d’autres wilayas, en ligne, elle a expliqué que « ce premier rapport met en lumière les mécanismes des féminicides en Algérie et propose des pistes de réflexion sur les mesures à prendre pour les prévenir ». Elle a toutefois relevé que « des études institutionnelles fondées sur un plus grand échantillonnage sont nécessaires afin d’appliquer de réelles mesures préventives ».
Abordant la notion même de féminicides, elle a expliqué que «c’est la forme extrême d’un continuum de violence qui prend différentes formes de violence, qu’elles soient psychologiques, physiques ou sexuelles». Elle a ajouté que « leur point commun est d’être ciblées parce que femmes ou filles. La plupart des victimes ont succombé à de mauvais traitements récurrents, parfois infligés depuis des décennies par leur compagnon, par des membres de leurs familles réciproques ou suite à une agression par des inconnus.
Ainsi, « près de 80 % des féminicides sont commis par un membre de la famille de la victime », a souligné Wiame Awras, précisant que « dans 61% des cas, il s’agit du conjoint ou de l’ex-conjoint ».
Les victimes sont âgées de 5 à 85 ans et l’âge médian est de 37 ans. La plus grande proportion des victimes, soit 25 % d’entre elles, sont des femmes âgées de 30 à 39 ans, suivies de celles âgées de 20 à 29 ans, mais aussi 16 % pour les plus de 60 ans. Elle a souligné que ces chiffres concordent avec ceux des violences contre les femmes.
49% des victimes de féminicide sont des mères
Un autre fait marquant qui ressort de l’analyse de ces données, c’est que 49 % des femmes victimes de féminicide étaient mères. Au total, au moins 206 enfants ont eu une mère assassinée par le père ou le beau-père dans de rares cas. De plus, dans plusieurs cas, le féminicide a été commis devant les enfants.
Afin que ces femmes victimes ne soient pas juste des statistiques, les membres du collectif donnent des exemples de ces crimes, commis souvent avec acharnement et une violence extrême. A titre d’exemple, Amel Belmane, 38 ans, a été égorgée devant ses enfants le 28 février 2021 à Annaba. Elle était allaitante d’un nourrisson de 1 an. Hadjar Chattah, 32 ans, a été égorgée devant son fils de 4 ans en novembre 2022 à Annaba par son ex-conjoint. Elle avait deux autres enfants.
Il est également démontré qu’au moins seize victimes de féminicide étaient enceintes lorsqu’elles ont été assassinées. La corédactrice de l’ouvrage a cité un cas marquant d’acharnement qui est celui d’Asma, égorgée par son conjoint en août 2020 à Aïn Bénian, à Alger, enceinte de 8 mois. En plus des mères, les enfants sont, eux aussi, la cible de meurtres. Ils sont assassinés avec leur mère. C’est le cas de Samia Djemoui et ses trois enfants, tués par le père de famille à Annaba en 2022.
La violence de ces féminicides se traduit notamment par les méthodes utilisées pour commettre ces meurtres. Ainsi, selon les statistiques du rapport, les méthodes les plus utilisées sont des coups de couteau et l’égorgement, suivis des meurtres par balles et par coups. D’autres méthodes sont également utilisées comme le feu pour immoler ou brûler le corps après l’assassinat, l’étranglement, l’étouffement, la lapidation ou encore le fait de renverser la victime avec une voiture ou un camion.
Wiame Awras a tenu à souligner que de « nombreux féminicides peuvent être empêchés si une réelle politique de prise en charge des victimes et des agresseurs est effectuée », ajoutant qu’« une femme victime de violences et menacée doit pouvoir être protégée, mise à l’abri et accompagnée ».
Dans cet ouvrage, des recommandations sont émises pour la prise en charge des femmes et des enfants. Pour cela, les rédactrices préconisent notamment d’identifier, le plus tôt possible, les femmes victimes de violences, en tenant compte de l’effet de l’emprise psychologique et économique.
Il s’agit également de prendre en compte l’enregistrement, qui doit être systématique, des plaintes des femmes comme mesure de détection et de prévention contre les féminicides. D’un point de vue législatif, il s’agit d’intégrer le féminicide dans le code pénal comme circonstance aggravante pour les crimes de femmes par conjoint ou ex-conjoint ou encore par un membre de la famille, au même titre que le parricide. Il s’agit aussi d’abroger la clause du pardon concernant les violences conjugales et établir des circonstances aggravantes, au même titre que le parricide.
En outre, il s’agit aussi d’assurer une prise en charge psychologique des enfants dont la mère est victime de violences et de féminicide afin de diminuer le risque traumatique et la répétition du traumatisme. Il est aussi préconisé la mise en place d’un guichet unique avec une équipe formée (policiers, psychologues, assistantes sociales) à l’accueil, l’écoute et la prise en charge juridique des femmes victimes de violences familiales et conjugales dans les commissariats, les gendarmeries et les tribunaux.