Depuis quelques mois, le Canada opère un virage significatif dans sa politique d’immigration. Jadis considéré comme l’un des pays les plus accueillants au monde pour les nouveaux arrivants, le pays semble aujourd’hui resserrer l’accès à son territoire, dans un contexte de crise économique, de tension sociale et de recomposition politique.
Une politique migratoire en pleine mutationFace à une pénurie de logements, une inflation persistante et une pression croissante sur les services publics, les autorités canadiennes ont décidé de revoir à la baisse les seuils d’immigration pour les prochaines années. Le nouveau gouvernement, dirigé depuis mars 2025 par Mark Carney, a annoncé une réduction significative du nombre de résidents permanents admis chaque année. Le Canada, qui visait près d’un demi-million d’admissions en 2024, table désormais sur des chiffres en nette diminution jusqu’en 2027.
Parallèlement, des restrictions ont été imposées aux résidents temporaires, notamment aux étudiants étrangers et aux travailleurs sous permis. L’objectif affiché est de faire baisser leur proportion dans la population globale, un changement qui pourrait avoir un impact majeur sur l’économie locale, notamment dans les secteurs dépendants de cette main-d’œuvre.
L’immigration, enjeu électoral majeurCette inflexion intervient alors que le pays se prépare à des élections fédérales anticipées, convoquées pour le 28 avril prochain. Dans ce contexte, l’immigration est devenue un sujet central de la campagne, cristallisant les tensions autour de la crise du logement, du coût de la vie et de l’accès aux services. Un consensus semble même émerger parmi plusieurs formations politiques sur la nécessité de réduire l’immigration francophone, traditionnellement concentrée dans des provinces comme le Québec, où les infrastructures peinent à suivre le rythme démographique.
Le ton de la campagne est particulièrement tendu, nourri par des débats sur l’équilibre entre ouverture et souveraineté, mais aussi sur l’identité et la cohésion sociale. Le nouveau Premier ministre cherche à obtenir un mandat fort pour poursuivre sa réforme migratoire, tout en préservant la réputation du Canada comme pays fondé sur la diversité.
Frontières sous tension avec les États-UnisSur le plan international, le retour de Donald Trump à la tête des États-Unis a également contribué à redessiner la gestion des frontières nord-américaines. Washington reproche à Ottawa une gestion jugée trop souple de l’immigration, et a durci les contrôles aux frontières. Le Canada, sous pression, a renforcé à son tour ses propres mécanismes de filtrage, notamment dans les aéroports et aux postes terrestres frontaliers.
Ces mesures ont eu des répercussions directes sur les voyageurs. Récemment, plusieurs passagers algériens en provenance d’Alger ont été refoulés à l’aéroport international de Montréal, malgré des documents en règle. Retenus dans la zone internationale, certains ont passé la nuit à l’aéroport avant d’être renvoyés ou, pour un cas, finalement autorisés à entrer. Ce type d’incident n’est pas isolé : depuis plusieurs mois, de nombreux témoignages font état de refoulements arbitraires, en particulier parmi les ressortissants d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
Même des résidents permanents de retour de voyage peuvent faire l’objet d’interrogatoires prolongés, voire se voir refuser l’entrée au pays, dans un climat d’incertitude grandissante. Si les autorités ne commentent que rarement ces cas individuels, la multiplication des signalements commence à susciter l’inquiétude au sein des communautés concernées.
Une image en mutationLe Canada traverse donc une période charnière. D’un modèle d’ouverture largement salué à l’international, il est en train de devenir un pays plus prudent, voire méfiant, à l’égard de certains profils de migrants. Le défi pour les dirigeants est désormais d’ajuster les flux migratoires aux capacités réelles d’accueil, tout en évitant de céder aux sirènes populistes ou de compromettre les valeurs fondamentales d’inclusion et de diversité.
À quelques semaines des élections, la question migratoire cristallise un malaise profond. Elle révèle aussi les contradictions d’un pays qui cherche à se réinventer, sans renier son héritage. Reste à savoir si les choix politiques à venir permettront de trouver un équilibre juste entre protection, prospérité et humanité.