De l’urgence de relire Mohammed Arkoun



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Mohammed Arkoun (1928-2010) est l’un des plus éminents spécialistes de la pensée islamique. Il a initié une véritable révolution copernicienne dans le champ de la recherche dédiée à l’étude et l’analyse du fait religieux. L’auteur de Pour une critique de la raison islamique a bouleversé les concepts et les codes de l’islamologie classique en développant une nouvelle discipline qui fera école : l’islamologie appliquée. Celle-ci opère une lecture critique du religieux en mobilisant toutes les ressources des sciences sociales, loin des «clôtures dogmatiques» et des mytho-idéologies des «gestionnaires du sacré». Arkoun, répète-t-on partout, est un auteur trop difficile à suivre ; il est impénétrable ajoutent certains, tant il accumule les concepts incompréhensibles même pour les plus familiers des sciences de l’homme et de la société. Il puise dans toutes les disciplines tout en montrant leurs limites quand elles traitent de la pensée islamique», écrit Mohammed Arkoun dans Humanisme et Islam (Barzakh, 2006, p24). De fait, le pape de l’islamologie appliquée a dû s’accommoder de cette réputation d’érudit hermétique à la pensée inaccessible. Il avait parfaitement conscience de la réception qui était faite à son œuvre, et où se mêlent adulation des disciples et résistance tenace de la scolastique traditionnelle à son audacieuse approche scientifique du religieux. Dans un entretien avec Ghaleb Bencheikh sur France 2 (diffusé le 28 février 2010), le professeur Arkoun expliquait comment l’irruption du fait coranique au VIIe siècle, au Hijaz, constituait une double subversion, à la fois à l’égard de la «religion polythéiste» (car, précise-t-il, «le polythéisme est une religion pour les anthropologues») et des deux traditions monothéistes qui avaient précédé l’islam. De la même façon, la pensée de Mohammed Arkoun, le changement de paradigme qu’il a opéré, ont été considérés comme une double subversion, une rupture épistémologique tant vis-à-vis des tenants de l’orthodoxie religieuse que des courants de l’islamologie classique qui n’avaient pas suffisamment questionné les conditions de la formation des grands récits métaphysiques. Dans les territoires de «l’impensé» islamique A travers ce qu’il appelle «l’islamologie appliquée», l’auteur de La Pensée arabe propose une approche pluridisciplinaire dans l’analyse du corpus coranique et du «logiciel» théologique musulman : histoire, anthropologie, philosophie, philologie, linguistique, sémiologie… Dans sa ligne de mire, «l’intelligibilité de la foi». Pour lui, la «croyance est une construction sociale». Et si la foi relève de l’intime, le religieux, lui, est un système qui n’échappe pas au tempérament des hommes, aux intrusions du politique, aux luttes de pouvoir, aux arrangements sectaires avec la vérité, aux mœurs sociales et aux humeurs de l’époque. Son projet était d’ouvrir un horizon de sens dans des territoires peu explorés, ce qu’il appelle «l’Impensé dans la pensée islamique contemporaine». L’auteur de De Manhattan à Baghdad. Au-delà du Bien et du Mal (avec Joseph Maïla) s’est, en l’occurrence, évertué à «détecter dans le discours islamique actuel (…) des problèmes que l’on refuse de penser pour des raisons politiques ou faussement religieuses» (L’Humanité du 13 novembre 2001). Intervenant lors de l’hommage rendu à Mohammed Arkoun par notre journal le 18 décembre 2010 dans le cadre des «Débats d’El Watan», le professeur Yadh Ben Achour, juriste tunisien de renom et spécialiste des théories politiques de l’islam, a minutieusement décortiqué le travail de «déconstruction de la pensée religieuse orthodoxe» accompli par Arkoun : «Appliquant à l’islam des méthodologies inspirées des travaux de Roger Bastide, Fernand Braudel, Michel Foucault, Marcel Gauchet, René Girard, Arkoun démonte les mécanismes de transcendantalisation, d’idéologisation, de manipulations que la pensée islamique théologique et juridique a connus par le fait de cette alliance entre les intérêts du pouvoir politique et la classe des oulémas», indique Yadh Ben Achour. Dans la foulée, il rappelle cette distinction fondamentale faite par Arkoun entre «le fait coranique et le fait islamique», autrement dit entre le texte matriciel de référence et son interprétation, son «actualisation» et sa traduction sociale, politique, juridique… au sein des sociétés qui s’en sont inspirées. «Le Coran est lu comme un texte abstrait, c’est-à-dire au-dessus de l’histoire et de la condition humaine», note le professeur Ben Achour, alors qu’Arkoun, lui, propose d’aborder le texte coranique «non seulement par son insertion dans les conditions historiques de sa Révélation, mais également dans les conditions historiques qui sont les nôtres, notamment l’évolution des sciences de l’herméneutique : l’histoire comparée des religions, la linguistique, la sémiologie, l’anthropologie religieuse. C’est par l’intermédiaire de ces sciences qu’on pourra accéder à une analyse critique du texte coranique». Le juriste cite un autre principe cardinal de l’appareil conceptuel arkounien : l’idée qu’il faille «renoncer à toute lecture linéaire qui privilégie la logique grammaticale», soulignant qu’Arkoun a parlé du Coran en tant que «discours de structure mythique» ; un texte ouvert empreint de «merveilleux». Variations du corpus coranique Dans Lectures du Coran, Mohammed Arkoun distingue quatre éléments structurels dérivés du corpus coranique. Il note : «Qu’est-ce qui différencie les stades de la Parole de Dieu du discours coranique (DC ou biblique ou évangélique) du Corpus officiel clos (COC), des Corpus interprétés (CI) ? Il est essentiel que le lecteur pénètre dans ces distinctions qu’imposent la linguistique et l’histoire à la fois. Car nous sommes habitués, depuis quatorze siècles, à télescoper dans le seul mot ‘‘Coran’’ des niveaux très différents de production du sens de l’ensemble d’énoncés rassemblés et exploités sous cette appellation» (Lectures du Coran, Albin Michel, p15). Ces nuances appellent donc à un effort de contextualisation, de mise en situation et de mise en perspective historique en tenant compte des régimes discursifs et des contextes d’énonciation. Arkoun se montre particulièrement attentif au passage de la révélation orale à la révélation écrite, incarnée par le «Mushaf», le Coran écrit. «La seconde phase sémio-linguistique de l’histoire de la Révélation manifestée dans le ‘‘Coran’’ est le processus de sa fixation graphique dans ce qui est devenu pour tous les croyants le ‘‘Mushaf’’, un ensemble de pages reliées en un volume», dissèque l’islamologue. Analysant le «Corpus officiel clos», il précise que celui-ci «désigne la grande unité de textes rassemblés en un volume». «L’examen linguistique de ces textes, poursuit-il, révèle une diversité des discours, donc la nécessité d’une typologie plus fine que la distinction trop générale des sourate mecquoises et médinoises. Ce Corpus est officiel parce que sa Constitution est décidée et surveillée par un pouvoir politique déjà engagé dans les querelles sur la succession du Prophète ; il est enfin clos parce que pas un mot, pas une voyelle ne peuvent être ajoutés, retranchés ou modifiés après la réalisation du consensus des croyants sur l’intégrité et l’intégralité de la révélation faite à travers Muhammad». S’agissant des Corpus interprétés (CI), ils sont produits par «les communautés interprétantes au cours de leur histoire», explique Arkoun. «Linguistiquement, il est essentiel pour les aventures du sens que c’est toujours le texte écrit qui est interprété et non plus le discours initial. On sait, en effet, qu’un texte n’est pas écrit tant que je ne l’ai pas lu : ce qui veut dire que chaque lecteur réécrit le texte avec sa grille de perception et ses principes d’interprétation, grille et principes liés eux-mêmes non seulement à la tradition culturelle dont se réclame chaque lecteur, mais aussi aux contraintes idéologiques de son groupe et de son temps. Cela pose tout le problème des projections d’idées, de concepts, de représentations sur le texte coranique arraché sans cesse à ses mécanismes immanents de production du sens. Ainsi s’explique l’immense amplification sémantique, symbolique, idéologique du texte coranique (ou biblique ou évangélique) au contact d’histoires sociales, politiques, culturelles, très variées et changeantes.» «Pensée jetable» et «choc des ignorances» Arkoun propose, in fine, une lecture dynamique du récit coranique en opposition à la lecture statique dominante qui aborde le Coran comme un livre figé. Mais force est de constater que les lumières arkouniennes, les voies ouvertes par sa rationalité critique dans le fracas des croyances polarisées, sont toujours bannies sous nos latitudes. Il faudra compter encore longtemps avec ce qu’il nommait la «pensée jetable», les «bricolages de la culture populiste» et le «choc des ignorances», à l’ère des étiquettes superficielles médiatiquement amplifiées par une actualité où l’islam est constamment pointé du doigt, mêlé à toutes les violences «sacrées». Etrange destin donc que celui de Mohammed Arkoun, lui qui était étudié, invité, adulé, célébré, dans les cercles scientifiques et les universités du monde entier, de Princeton à Jakarta, et qui sera resté persona non grata dans l’aire intellectuelle islamique, notamment sa branche radicale. «Ses opinions [lui] ont valu des attaques frontales et virulentes, précisément de la part de ceux qui partagent la théorie de ‘‘l’évidence coranique’’. Ces attaques sont allées jusqu’aux déclarations d’apostasie», regrette Yadh Ben Achour. Dans Les Vies de Mohammed Arkoun (Paris, PUF, 2014 ; éditions Barzakh, 2015) sa fille, Sylvie, résume ainsi les «transgressions» du penseur iconoclaste : «Il certifiait que les ‘‘croyances-vérités’’, fondatrices de la religion islamique, avaient été soustraites à toute investigation critique sérieuse depuis le XIIIe siècle, enfermant le discours religieux dans le grand corpus de la croyance orthodoxe. Il soutenait que les gestionnaires du sacré avaient entretenu au cours des sept derniers siècles cette clôture dogmatique, s’arrogeant ainsi le monopole de la parole d’Allah, de la vérité, et par là-même de l’autorité politique», écrit-elle. Et de faire remarquer : «Sa vision était particulièrement révolutionnaire et iconoclaste puisqu’elle se basait sur une opération de déconstruction des mythes fondateurs de la religion». Cela appelait un «travail archéologique et historique à mener en urgence pour parcourir à rebours le chemin tracé par la tradition, pour retrouver les conditions de production du Coran et du Hadith». Le livre de référence Pour une Critique de la Raison islamique, estime-t-elle, «portait en lui les germes d’un changement de paradigme absolu, une rupture radicale dans la façon d’envisager la religion islam, une subversion inouïe dans une conscience musulmane qui persistait à confondre critique et attaque». Passion humaniste Sylvie Arkoun ne manque pas de rapporter ce qui s’est produit un jour de juillet 1985, à l’université de Béjaïa, durant ce Séminaire de la pensée islamique où le professeur Arkoun avait été violemment pris à partie par le prédicateur Mohammed Al Ghazali. «Ce jour-là, il (Arkoun) avait décidé d’évoquer le sujet qui occupait toutes ses pensées : l’authenticité de la parole divine dans le Coran, les problèmes de transmission d’une tradition orale à des textes écrits, et la nature mythique du Livre saint, reprenant sa démonstration selon laquelle la loi islamique n’était au final qu’une construction humaine», relate-t-elle. A la fin de la conférence, «Al Ghazali demanda à un organisateur de lui apporter un micro, et devant un public interdit, prit la parole en pointant d’un doigt vengeur le professeur Arkoun, encore sur l’estrade : ‘‘Tu oses blasphémer le Livre saint, tu oses remettre en cause le caractère sacré du Coran qui est la parole de Dieu, tu es un mauvais musulman, un apostat, un blasphémateur, ta parole est une honte. Hors d’ici, ta place n’est pas dans ce pays’’.» Au fond, ce qui est reproché à Mohammed Arkoun, c’est son autonomie de pensée et son attachement profond à sa liberté critique. «Depuis que je suis toute petite, quand on lui demande qu’elle est sa religion, il répond qu’il est philosophe». Ainsi aimait-il à se définir selon le témoignage de sa fille. Le savant blessé professait : «La philosophie, c’est l’autonomie de la raison. L’homme est né pour être libre, pas pour être soumis à l’arbitraire de l’homme !». Monstre d’intelligence pénétrante et de lucidité clinique, il savait aussi que «les murs les plus difficiles à abattre sont ceux de l’esprit». Oui, Arkoun était trop lucide pour ignorer l’ampleur de la tâche qui était la sienne des deux côtés de la Méditerranée, lui qui a œuvré ardemment pour revivifier la vision humaniste qui fut celle de la spiritualité éclairée d’Ibn Rochd, de Miskawayh, d’Ibn Sina et autres Tawhidi au temps où la foi et la raison cohabitaient dans une parfaite harmonie. Si son pays n’a pas su reconnaître à sa juste valeur l’immense intellectuel qu’il était, puisse au moins sa passion humaniste se perpétuer. Dans Humanisme et Islam, Arkoun proclame : «L’attitude humaniste n’aura d’avenir que si elle cesse d’être naïve, romantique, confiscable par les rhéteurs et les sermonneurs. Elle sait désormais qu’aucune guerre propre, aucune torture, aucune armée, aucune mafia politico-financière, aucune fraude électoraliste, aucun chant révolutionnaire, aucune fausse transcendance, ne pourront venir à bout de l’insondable vocation du sujet humain à la liberté intérieure et aux élans créateurs pour faire reculer toujours plus les limites de la condition humaine».                                          


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